En Guinée, comme dans de nombreux autres pays, le potentiel du numérique et la pénétration progressive de l’internet ont poussé de plus en plus de personnes à une vie interconnectée, grâce à l’accessibilité des contenus et informations qui y circulent ainsi que l’émergence des outils numériques. Dans cet article, le Comité d’analyse et de rédaction du projet Impact Guinée vous aide à mieux comprendre le phénomène.
Selon les données recueillies sur le site de l’Agence de Régulation des Postes et Télécommunications (ARPT), le taux de pénétration de l’internet en Guinée est de 51,56% pour 6,9 millions d’abonnés à internet et 13,6 millions d’utilisateurs de la téléphonie mobile (ces données sont consultées, le 03/04/2024 à 13h43mn).
Ainsi, entre évolution de la connectivité et la production et diffusion de l’information, la Guinée se trouve confrontée à un défi d’une grande importance qui mine le secteur de l’information. Il s’agit bien du phénomène de désordre informationnel (la désinformation, la mésinformation, la malinformation et les propos haineux) qui pollue à grande échelle l’infosphère publique.
La désinformation et les discours de haine à caractère ethnique et sexiste ne sont pas des phénomènes nouveaux en Guinée. Mais la configuration médiatique a pendant longtemps été un frein à leur amplification dans la sphère publique. La multiplication des médias avec la libéralisation des ondes, l’arrivée des médias numériques et des réseaux sociaux ont malheureusement changé cette donne.
Les causes du désordre informationnel en Guinée
Les causes qui alimentent et amplifient le désordre informationnel en Guinée sont nombreuses. Nous allons passer en revu quelques-unes d’entre elles…
- L’avènement des médias sociaux et l’explosion de l’utilisation de l’internet
Les médias sociaux et l’internet ont eu un impact significatif sur le paysage médiatique en Guinée. Si avant, la production et la diffusion de l’information était réservée exclusivement au métier du journalisme, de nos jours, tout individu disposant d’un smartphone et d’une connexion internet, peut produire et diffuser des informations qu’elles soient vérifiées ou non. Des informations diffusées par des non professionnels peuvent créer des confusions chez les utilisateurs des médias sociaux, rendant ainsi difficile la distinction du vrai du faux. Ce qui favorise la propagation à grande échelle des rumeurs, des fausses informations et des messages haineux.
- Le faible niveau de compétences numériques des jeunes
Le faible niveau de compétences numériques favorise la montée en puissance de la désinformation. Ceci expose davantage la communauté aux conséquences des fausses nouvelles. Car n’ayant pas les connaissances nécessaires pour identifier et lutter contre ces nouvelles, les citoyens deviennent un terreau fertile pour leur propagation.
Pour lutter contre cela, l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI), à travers le projet Implication des Médias numériques pour une Prévention Active des Conflits et Tensions (IMPACT), a mené plusieurs actions sur le terrain dont l’organisation de dix sessions d’informations et de sensibilisation sur la lutte contre le désordre informationnel, à Conakry et à l’intérieur du pays, entre le 26 octobre et le 16 décembre 2024.
- La faible régulation des réseaux sociaux
En Guinée, il n’existe pas un instrument juridique spécifique sur les réseaux sociaux. L’absence d’une telle régulation permet aux acteurs du désordre informationnel de créer et de diffuser de fausses informations, de rumeurs et des messages haineux sur les plateformes des réseaux sociaux sans une grande contrainte, et de toucher un nombre de personnes considérable.
Présentement, les seuls textes juridiques qui traitent de la production et de la diffusion de la désinformation et des messages haineux sont la Loi relative à la cybersécurité et à la protection des données personnelles et la Loi sur la liberté de la presse.
Quelques conséquences du désordre informationnel
Le désordre informationnel a un impact significatif sur la communauté et la stabilité sociopolitique. Nous allons en citer quelques-unes…
- Manipulation de l’opinion publique
La désinformation peut empêcher les citoyens d’accéder à des informations fiables et vérifiées. Par conséquent, elle entrave à leurs capacités de prendre de bonnes décisions surtout dans les périodes d’élections et de transitions politiques. Les campagnes de désinformation peuvent avoir un impact négatif et considérable sur le déroulement de la transition en cours en Guinée. Car derrière chaque désinformation se cache un objectif de manipulation de l’opinion publique.
- Intensification des tensions sociales et politiques
La désinformation et les messages haineux sont souvent sources de clivages entre les communautés. Ils alimentent et intensifient le sentiment de violence vis-à-vis d’un individu ou d’un groupe d’individus. Ils contribuent à développer des comportements violents qui peuvent conduire à des affrontements physiques. C’est le cas par exemple de l’histoire de l’eau empoisonnée lors des élections présidentielles de 2010 en Guinée.
Victimes d’un malaise après avoir bu de l’eau lors d’un meeting à Conakry, certains militants du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) ont ouvertement accusé les militants de l’Union des Forces Démocratiques Guinée (UFDG), d’empoisonnement. Quelques années plus tard, la directrice de l’hôpital Ignace Deen, où étaient reçues les victimes du malaise, à l’époque des faits, a dénoncé un complot politique monté pour des simples manipulations ethniques.
Quelques solutions pour lutter contre le désordre informationnel
Contrer le désordre informationnel nécessite des actions à plusieurs niveaux.
D’abord, les autorités guinéennes doivent renforcer la régulation des réseaux sociaux, l’applicabilité de la loi sur la cybersécurité et la protection des données, sanctionner les individus qui créent et diffusent de la désinformation et des messages haineux.
Ensuite, les acteurs des médias doivent agir pour renforcer le journalisme de qualité, les capacités des journalistes notamment dans la vérification des faits. Ils doivent également renforcer la collaboration avec les plateformes et réseaux de lutte contre la désinformation.
Enfin, les citoyens connectés doivent éviter de partager des informations douteuses et sensationnelles de nature à ébranler la paix sociale, sensibiliser leur entourage sur les dangers du désordre informationnel, signaler les comptes et profils diffuseurs de désinformations et de propos haineux.
La lutte contre le désordre informationnel en Guinée reste un réel défi qui nécessite donc des actions concertées et coordonnées entre les différents acteurs de l’information et les autorités pour limiter ses impacts au niveau de la société.