La République Guinée est l’un des 16 pays d’Afrique de l’Ouest. Les violences basées sur le genre (VBG) y sont élevées, à l’instar d’autres pays du continent africain. En 2023, l’Office de Protection du Genre, de l’Enfance et des Mœurs (OPROGEM) a dressé un bilan de 205 cas de viols, 43 cas d’enlèvements, 23 cas de séquestrations, 12 cas de mariages précoces, 14 cas de harcèlement et 95 cas de violences (conjugales, physiques, morales ou psychologiques).
Dans cet article, le comité d’analyse et de rédaction du projet IMPACT en Guinée donne la parole à l’avocate et actiste des droits humains, Me Halimatou Camara, pour éclairer la lanterne des citoyens sur la procédure à suivre pour sanctionner le viol, inscrit au rang des crimes, selon le Code pénal en vigueur dans le pays.
L’Enquête Démographique et de Santé (EDS) Mixte de 2012 indique qu’en ce qui concerne les violences sexuelles, “24% des 15 ans ou plus ont été victimes de violences sexuelles avec une dominance chez les femmes (29% contre 18% [chez les hommes])”.
Et malgré l’existence des textes de lois qui réprimandent ces infractions et crimes, ces atrocités persistent. Dans bien des cas, la justice est accusée de lenteur dans le traitement des dossiers qui concernent les violences basées sur le genre en général et le viol en particulier.
Me Halimatou Camara est avocate au barreau de Guinée. Selon elle, la justice est naturellement « lente ». Avec cette activiste des droits humains, nous aborderons les étapes à suivre dans une procédure judiciaire d’un cas de violence basée sur le genre en général et en particulier le cas de viol.
De la commission d’une violence basée sur le genre…
Les VBG regroupent plusieurs infractions et catégories d’infractions. « Mais lorsqu’on prend du cas spécifique du viol qui peut avoir des conséquences sanitaires graves, il faut se diriger dans le commissariat de police ou le poste de la gendarmerie le plus proche. Et lorsqu’on veut davantage faire protéger nos droits, c’est d’aller vers des personnes plus spécialisées. Il faut aller à l’Office de Protection du Genre et Mœurs ou à la brigade spécialisée de protection des personnes vulnérables au niveau de la gendarmerie. Voilà, ces structures vont vous entendre, vous leur expliquer que vous avez été victime de viol et très rapidement elles vous font ce qu’on appelle une réquisition à un médecin. Ce document vous permet d’aller directement voir le médecin légiste qui vous examine et qui fait ce qu’on appelle rapport médico-légal qui doit être transmis à la police ou à la gendarmerie. Et c’est ce document de procédure ou ces documents de procédure plus les déclarations de la victime, éventuellement de l’auteur de l’infraction, qui vont être déférés au niveau du procureur de la République », explique Me Halimatou Camara.
Le rapport médico-légal important et mitigé dans une telle procédure…
Après la commission d’un viol, le rapport médico-légal est nécessaire pour confirmer le crime et éventuellement retrouver les traces du présumé auteur, à travers des preuves biologiques. Selon Me Camara, le document détermine la gravité de l’infraction. « La gravité de l’infraction, c’est quand on se rend compte que les mineurs se retrouvent avec des fistules. Même les majeurs se retrouvent avec des fistules ou des maladies qu’on pourrait qualifier d’infection sexuellement transmissible. Donc, il est important, au-delà de l’aspect judiciaire voir au-delà de l’aspect des preuves de voir un médecin. Un médecin qui peut être un médecin légiste va peut-être vous référer à un autre médecin, parce que lui seul, il ne peut pas tout faire », fait-elle savoir.
Le rapport médico-légal joue un rôle important dans la recherche des preuves de l’infraction à travers l’ADN qui peut être contenu dans le sperme. Cependant, Mme Halimatou Camara regrette la rareté des médecins légistes en Guinée. « Aujourd’hui, devant les juridictions, ce document a une place importante, mais à mon humble avis, il a une place qui est encore mitigée. Ce, dans la mesure où vous prenez de Conakry à Yomou, on a combien de médecins légistes et combien parmi eux ont la capacité de bien faire leur travail ? C’est assez difficile. Le viol est une infraction qui est assez difficile parce qu’en général elle se passe à huis clos entre deux personnes. Aujourd’hui, dans les juridictions internationales, la victime de viol elle est elle-même considérée comme un témoin… Donc, sur le plan international aujourd’hui, on ne s’arrête pas simplement à des preuves médico-légales. On fait de la parole de la victime un élément qui est important dans la détermination ou en tout cas dans l’établissement des faits », soutient l’avocate.
Le dossier de l’officier de police judiciaire à la table du procureur de la République
Au commissariat de police ou à la gendarmerie, la victime est entendue sur PV (procès verbale) et le présumé auteur (s’il est arrêté) par un officier de police judiciaire sur l’infraction. Suite à ça, les deux concernés et le rapport médico-légal sont déférés au tribunal de première instance du ressort où l’infraction a été commise.
Une fois au tribunal, « on a un procureur de la République qui, par un réquisitoire introductif, va saisir un juge d’instruction parce qu’en matière de poursuite, le procureur a la possibilité de poursuivre. Mais dans ces cas précis, c’est qu’il peut faire, c’est ce qu’on appelle une enquête. Ce n’est pas lui qui est l’auteur de la poursuite. Il y a maintenant le juge d’instruction qui est chargé de faire l’enquête. Donc, le dossier est ramené à un juge d’instruction qui est chargé à travers le réquisitoire introductif du procureur d’ouvrir ce qu’on appelle une information judiciaire », explique Me Halimatou Camara, tout en précisant que le juge d’instruction « peut faire son enquête sur plusieurs années ou plusieurs mois ».
Mais, selon elle, « quand on veut traîner ou étouffer une affaire par exemple, on utilise des années avant qu’on arrive à ce qu’on appelle une ordonnance de renvoi devant le tribunal criminel ou ce qu’on appelle une ordonnance de non lieu. Le non lieu, c’est lorsqu’il n’existe aucun élément qui puisse éclairer l’infraction à l’auteur de l’acte. Le juge dit qu’il n’y a aucun élément et donc il rend une ordonnance de non lieu. Il peut arriver aussi que le juge rende une ordonnance de renvoi devant un tribunal criminel lorsqu’il estime que les faits qui ont été portés à sa connaissance sont des faits qui sont établis et que visiblement il demande à un tribunal de juger cette affaire. C’est à ce moment là que l’affaire est en état d’être jugée devant un tribunal criminel.”
Pour être plus clair, Me Halimatou Camara, soutient que le retard des procédures est en partie lié à l’instruction de l’affaire. « Oui, il y a cette phase, il y a le juge d’instruction. Mais en Guinée, aujourd’hui, est-ce que c’est le juge d’instruction ? Prenez le dossier du 28 septembre, l’instruction a été clôturée en décembre 2017 et nous n’avons ouvert le procès qu’en 2022. Et ça, c’est une affaire dite emblématique et lorsque vous prenez des dossiers où ce ne sont pas des affaires emblématiques, ça dépend. On n’a combien de juges d’instructions sur l’étendue du territoire nationale et pour combien d’affaires ? Il y a donc, ce problème de l’efficience et de l’efficacité de la justice parce qu’au-delà de l’envie de travailler, il y a également les conditions de travail. »
Les peines encourues pour un auteur de viol en Guinée…
A ce niveau, le législateur a catégorisé les peines en fonction du degré de l’infraction. « Quand vous prenez l’infraction d’un cas de viol, les peines peuvent aller de 5 à 10 ans, de 10 à 20 ans, de 10 à 30 ans et même ça peut-être des réclusion criminelle à perpétuité. Ça dépend de la gravité de l’infraction, ça dépend parfois du statut de la victime, ça dépend du rapport qui pourrait exister entre la victime et l’auteur. Par exemple, quand on dit quelqu’un qui commet le viol, lorsqu’il existe un lien d’autorité entre lui et la victime, c’est ce qu’on appelle des circonstances aggravantes. Lorsque la femme était une femme enceinte, c’est une circonstance aggravante, lorsque l’infraction est commise sur une mineure de moins de 13 ans ou de moins de 14 ans, c’est une cause d’aggravation de l’infraction. Donc, ça dépend de tous ces éléments qui sont cités dans l’article 268 du Code pénal », dira-t-elle.
Que faire pour éviter la lenteur judiciaire …
Pour éviter cette lenteur au niveau de la justice, cette avocate au barreau de Guinée estime que le pays doit se doter d’une politique pénale très claire et un personnel bien qualifié, tout en respectant le ratio population-magistrats. « Dans tous les pays du monde, la justice est dite lente mais chez nous, c’est un cas particulier. Aujourd’hui, combien du budget national va sur le secteur de la justice? Aujourd’hui, quand vous prenez le ratio population-magistrats, combien de magistrats nous faut-il dans les cours et tribunaux pour pouvoir prendre des décisions ou en tous cas pouvoir faire le travail en toute normalité ? Ce n’est pas souvent simple (…) Il nous faut des moyens logistiques, des moyens humains mais aussi une certaine volonté politique à faire de la justice un instrument fiable pour le rétablissement de l’Etat de droit dans notre pays. Je pense que ce n’est pas de la magie, il faut des moyens humains, des moyens matériels, derrière aussi, il faut une volonté politique et une politique pénale claire. On ne peut condamner une personne de 15 ans, demain se retrouver avec des peines de 10 ans. On ne peut pas dire par exemple que quelqu’un qui a violé cinq ou six petites filles parce qu’il était marabout va prendre 10 ans de réclusion criminelle alors que c’est de circonstances aggravantes. Il faut qu’il y ait certaines consciences à la prise de décision des juges et les décisions doivent être faites en âme et conscience, selon nos textes de lois », a-t-elle conseillée.
Des parties civiles qui se rétractent de la procédure…
Par rapport à cet état de fait, Me Halimatou Camara ne passe pas du dos de la cuillère. Pour elle, ces personnes doivent être poursuivies pour obstruction à la justice.
“La victime se rétracte parce que la société la condamne, la juge mais il faut aujourd’hui des mécanismes fiables. Il faut faire en sorte de criminaliser tous ceux qui viennent dire des salamalecs, de pardonner. Il faut trouver les moyens de poursuivre toutes ces personnes pour obstruction à la justice. Dans les textes, tout est prévu dans notre code. Il faut l’appliquer et faire de la justice vraiment un instrument au service des citoyens. Il faut criminaliser, faire en sorte que celui qui fait l’apologie du viol ou ces type d’infraction, celui qui piétine ces genre d’enquête et même les agents publics que sa soit à la police, au sein de la justice, parce qu’en fait le sexisme, la misogynie et tout ces travers là. Donc, il faut faire en sorte qu’à chaque fois que ces cas-là sont dénoncés, on puisse en tirer les conséquences et qu’on puisse poursuivre les personnes. Parce que je pense fondamentale que c’est l’impunité qui fait qu’on banalise ces infractions de violence basée sur le genre », estime-t-elle.