Malgré les dispositions de la loi portant répression de la cybercriminalité et de la divulgation de fausses nouvelles, la désinformation et la diffamation ne s’estompent point sur les réseaux sociaux. Certains internautes ont trouvé la parade nécessaire pour continuer sur leur lancer en toute impunité, sans éveiller le moindre soupçon.
Le lundi 5 février 2024, une panoplie de publications (Facebook) dément l’information selon laquelle l’ex Chef de l’Etat ivoirien Laurent Gbagbo serait décédé.
« Longue vie au président Laurent Gbagbo… Une folle rumeur annonçant le décès de l’ancien chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo circule depuis ce matin, sur les réseaux sociaux. Laurent Gbagbo n’est pas décédé. L’ancien président ivoirien se porte bien », dément Bayéré Gamah, dans le groupe Ivoirien d’abord.
Le cyberactiviste ivoirien Steve Beko, l’un des porte-voix du camp Gbagbo sur les réseaux sociaux, a aussi rassuré les internautes via une publication qui marquait « C’est faux. Merci ! ».
Dans la même veine, la page Facebook Showbizoom a relaté l’article du site en ligne Linfodrome. « Laurent Gbagbo se porte bien et se trouve actuellement à Bruxelles en Belgique dans la cadre d’un voyage qu’il a effectué depuis le 29 janvier dernier contrairement aux rumeurs annonçant son décès. Un proche de l’ancien chef d’Etat, joint par Linfodrome a formellement dénoncé ces fausses allégations, rassurant que Laurent Gbagbo se porte actuellement comme un charme », peut-on lire sur cette page.
Si le lot de publications qui contredit ladite rumeur est à la portée de tous, il est cependant difficile d’accéder aux contenus de base. En effet, cette désinformation a été véhiculée via des groupes, des messageries numériques, par l’utilisation de certaines précautions dont des langages codés.
Ces langages codés aujourd’hui, sont devenus le moyen parfait qu’utilisent plusieurs internautes pour dévier les sanctions prévues par la loi contre la cybercriminalité, raison pour laquelle le post du cyberactiviste ivoirien Steve Beko, qui pourtant était sans précision, n’a laissé personne dans l’incompréhension. En témoignent les commentaires. « Merci Jésus… je guettais cette publication ».
L’auteur de la page Facebook ‘’Cisqueau Kagébet’’, (page officielle de Narcisse Yapo, jeune politique Ivoirien), lui est un spécialiste des langages codés. D’ailleurs, ses étudiants comme se nomment ses fans, l’appelle le professeur, l’homme du ‘’gbairai codé’’, c’est-à-dire l’homme des scoops chiffrés. Il se sert fréquemment de ce nouveau moyen de communication pour véhiculer des informations qui indexent des personnalités publiques de différents domaines (politique, showbiz…) tout en modifiant les noms des concernées dans ses publications.
Sur sa page, vous pouvez voir des posts comme ceci : « Les acteurs de SIDA DANS LA CITÉ sont : Naruto, Fruit Défendu, Milagro…1 distributeur 2 sirinanpo. À tout à l’heure… ».
Les plus habitués déchiffrent assez facilement ses posts, cependant ceux qui n’y arrivent pas prennent contact avec ‘’les meilleurs de la classe’’, par messagerie.
Ce qui a incité le ‘’professeur’’ de la page qui suscite autant d’intérêt avec plus de 60 000 followers au moment du recensement, à développer une stratégie marketing. Celle de mettre un livre à la disposition de ses étudiants avec des textes décodés, comme annoncé ce 14 février 2024 « Dagblê dans la cité paraîtra publiquement en code à 16h16 mais décodé dans le livre. Que ceux s’étant acquittés réécrivent pour le recevoir ».
Ce que recherchent les auteurs de diffamation et de désinformation via ces publications codées
Conscients des centres d’intérêts des internautes, les acteurs de ces contenus multiplient des publications non avérées et non vérifiées, quitte à faire de la diffamation ou de la désinformation.
Très souvent hantés par l’augmentation de l’audience sur leurs différents canaux numériques, et conscients des dispositions de la loi ivoirienne sur la cybercriminalité, y compris la présence de la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (Plcc), ils souhaitent maintenir leurs habitudes sans s’attirer des ennuis, surtout qu’ils développent des concepts autour qui leur permettent d’arrondir leur fin de mois.
L’une de ces motivations pourrait être également la manipulation de l’opinion publique à des fins politiques ou autres.
Ces langages codés peuvent s’avérer dangereux pour le pays
Ce qui peut s’avérer dangereux pour le pays. La rumeur concernant la disparition de l’ex Chef de l’Etat ivoirien Laurent Gbagbo, en est l’illustration parfaite. Plusieurs publications et commentaires sur la question accusent les opposants d’avoir sciemment mis l’information sur toile, surtout qu’en septembre dernier, la même désinformation circulait. Un tel contexte peut être la source de conflits et d’attaques interpersonnelles.
Par ailleurs, ces types d’informations, si elles perdurent peuvent également causer du tort aux parents vulnérables de l’ex Président ivoirien, qui tombent subitement sur de telles informations sur les réseaux sociaux.
En échappant à la loi, ces créateurs de contenus, qui désormais détiennent un réseau de milliers d’abonnés avec lesquels ils gardent une certaine proximité par l’entremise des boites de messageries, peuvent utiliser cette base de données afin de véhiculer des discours de haine, de la désinformation qui pourraient par la suite engendrer des soulèvements populaires…
La traçabilité de ces contenus étant très complexe, les professionnels des médias spécialistes de fact-checking, qui ne disposent pas suffisamment de matériels pourraient, eux aussi, devenir moins efficaces.
Stopper l’ampleur de la diffamation et la désinformation via ces publications codées
La loi en son article 229 du code pénal ivoirien prévoit des sanctions en cas de diffamation. Cet article stipule: « La diffamation, l’injure ou la menace faite dans les conditions prévues par l’article 184 envers un groupe de personnes qui appartiennent par leur origine à une race, à une ethnie ou à une religion déterminée, est punie d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 500.000 à 5.000.000 de francs. Ces peines sont portées au double, si l’infraction a été commise par la voie de la presse, de la radio ou de la télévision. »
La loi No 2013-451 portant répression de la cybercriminalité et de la divulgation des fausses nouvelles, en son article 65, quant à elle, punit «de six mois à deux ans d’emprisonnement et de 1.000.000 à 5.000.000 de francs CFA d’amende, le fait pour toute personne de communiquer ou de divulguer par le biais d’un système d’information, une fausse information tendant à faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration de biens ou une atteinte aux personnes a été commise ou va être commise ».
En dépit de cela, le gouvernement ivoirien par le biais d’un comité de veille, devra analyser les proportions et les conséquences que pourraient créer ces types de contenus, pour une mise en place de mesures sévères, car, il est déjà très difficile d’en trouver les traces.
Les acteurs de la société civile doivent attirer l’attention du gouvernement sur ce fait qui s’accentue de jour en jour et continuer les sensibilisations sur la désinformation, la diffamation et la cybercriminalité, tout en vulgarisant les textes de loi.
Il faudrait accompagner les médias, spécialistes de fact-checking, en termes de formation, de matériels afin de booster leurs compétences qui pourraient être d’une aide précieuse dans la recherche de solutions du comité de veille suggéré plus haut.
En outre, les populations doivent également appliquer les recommandations de lutte contre la désinformation à savoir, demander la source des informations diffusées sur les réseaux sociaux aux auteurs, éviter de partager rapidement les publications, consulter les médias numériques pour vérification, effectuer quelques recherches via les outils numériques (google image), signaler les contenus des désinformations…
Marina Kouakou