Guinée : la liberté d’expression à l’épreuve de la transition militaire du général Doumbouya !

À l’instar de nombreux pays africains, la Guinée est entrée en contact avec la presse à l’époque coloniale avec des journaux papier. “Elle fut d’abord contrôlée par les autorités coloniales avant d’être appropriée par les élites politiques locales dans leur lutte anticoloniale. A l’issue de la 2ème guerre mondiale, plusieurs journaux voient le jour au nombre desquels (Coup de Bambou, Phare de Guinée, La Liberté…) utilisés par les leaders politiques et syndicaux d’alors comme un puissant moyen de mobilisation populaire contre la domination étrangère.   

Après l’accession de la Guinée à l’indépendance en 1958, le régime du président Ahmed Sékou Touré (1958-1984) instaure le parti unique, le journal La Liberté, la publication du PDG-RDA (parti au pouvoir), rebaptisée Horoya, devient l’unique journal d’information autorisé dans le pays.

A la mort du président Touré, en 1984, le Comité Militaire de Redressement National (CMRN), à sa tête le colonel Lansana Conté, prend le pouvoir. En 1990, la promulgation de la loi fondamentale ouvre la voie à la liberté de presse avec la création du groupe Le Lynx-La Lance, mais également L’Indépendant-Le Démocrate. 

Libéralisation des ondes en Guinée

A la suite des conditions posées par l’Union Européenne pour la reprise de sa coopération dont la libéralisation de l’espace audiovisuel, le président Lansana Conté (1984-2008), devenu entretemps général, a pris un décret en 2006 autorisant la création des radios et télévisions privées. Plusieurs radios furent créées dans la foulée. La loi sur la liberté de la presse promulguée en 2010 dépénalise les délits commis par voie de presse. Ce qui fait baisser le nombre de journalistes en prison ; même si la loi peine à être appliquée convenablement. Pendant le régime du président Alpha Condé (2010-2021), la liberté de la presse a connu des hauts et des bas avec l’emprisonnement de certains journalistes et la suspension momentanée de certains médias.

Prise du pouvoir par le Comité National pour le Rassemblement et le Développement

Le 5 septembre 2021, le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), à sa tête le général Mamadi Doumbouya, met fin au régime Alpha Condé. La Constitution et les institutions sont suspendues, à l’exception de la Cour suprême et de la Cour des comptes. 

La Haute autorité de la communication (HAC) réhabilitée 

Lors des concertations nationales au Palais du peuple, les associations de presse sollicite du chef de la junte la réhabilitation de la Haute autorité de la communication (HAC). Le 21 septembre 2021, Mamadi Doumbouya a pris une ordonnance réhabilitant l’institution de régulation sous la forme qui était la sienne avant le coup d’Etat. Tout se passe apparemment bien entre les journalistes et les militaires au pouvoir. Le second en a d’ailleurs nommé beaucoup d’entre eux à des hautes fonctions dans l’administration publique. Par la suite, le CNRD a octroyé une Maison de la presse, satisfaisant ainsi une doléance des associations de médias. Un cadeau empoisonné, dénoncé en ce temps par notamment l’association Presse Solidaire qui avait demandé aux professionnels des médias  de “ne pas l’accepter”. La junte militaire va également promettre de revaloriser considérablement le montant de la subvention accordée annuellement à la presse. 

Les libertés fondamentales à rude épreuve

La prise du pouvoir par le CNRD, le 5 septembre 2021, a bénéficié d’un soutien populaire à travers le pays. C’est ainsi que le 11 septembre 2021, la junte a officiellement interdit les mouvements de soutien à son égard. Ceux-ci n’ont pas disparu, pour autant. Au contraire, d’autres se sont créés par la suite sous le regard complice des autorités. La Charte de la transition publiée le 27 septembre 2021, reconnaît globalement tous les droits fondamentaux, la liberté d’opinion, d’expression et de réunion. Par contre, elle n’est pas explicite sur  la liberté de manifestation.   

Au fil du temps, l’euphorie populaire s’est estompée. Les acteurs sociopolitiques s’impatientent et finissent par perdre confiance aux autorités militaires, les soupçonnant des velléités de confiscation du pouvoir. La confiance mutuelle s’effrite petit à petit. La plateforme FNDC (Front National de Défense de la Constitution) menace de reprendre les manifestations de rue contre la “gestion unilatérale de la transition”. A travers un communiqué, le 13 mai 2022, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation interdit “toutes les manifestations sur la voie et la place publiques. Le motif invoqué est que celles-ci sont “de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme de la transition”. Au regard de cette situation, les acteurs politiques sont invités à s’y abstenir jusqu’aux périodes de campagnes électorales.

« Par cette décision, les autorités de la transition perpétuent la violation du droit de réunion pacifique fréquemment commise sous la présidence d’Alpha Condé qu’elles ont renversé le 5 septembre 2021. Elles en font même une règle destinée à être appliquée possiblement pendant plusieurs années et pour des motifs vagues, en violation du droit international, sachant qu’aucun chronogramme officiel quant à la tenue des prochaines élections n’a jusqu’à présent été présenté aux Guinéens. Le droit à la liberté de réunion pacifique est protégé par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et par l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette décision contrevient également à la Charte de la transition voulue par le CNRD et signée le 27 septembre 2021 par le chef de l’Etat, dont l’article 34 stipule que « les libertés d’association, de réunion, de presse et de publication sont garanties », a dénoncé Amnesty International dans un communiqué.

Fin de l’idylle entre la presse et le CNRD

Les différents droits et libertés fondamentaux sont si étroitement imbriqués au point que la restriction de l’un affecte indubitablement tous les autres.  Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2022, une manifestation spontanée, la toute première sous le CNRD, consécutive à l’augmentation du prix du carburant, fait un mort. Thierno Mamadou, un jeune lycéen, est tué par balle à Hamdallaye. L’Adjudant-chef Moriba Camara est arrêté, jugé, déclaré coupable de meurtre et condamné à 10 ans de réclusion criminelle par le Tribunal de première instance de Dixinn. Son procès en appel se tient actuellement devant la Cour d’appel de Conakry

À date, une trentaine de personnes ont été tuées à l’occasion des “manifestations pacifiques”, appelées par les Forces vives qui regroupent l’UFDG de Cellou Dalein Diallo, le RPG Arc-en-ciel d’Alpha Condé, l’UFR de Sidya Touré ou encore le FNDC, dirigé par Foniké Mengué. La plupart de ces leaders vivent actuellement en exil.

Actes liberticides 

Dans l’exercice de leur métier sur le terrain, des journalistes se sont vus empêcher à plusieurs reprises de couvrir les manifestations. Certains d’entre eux ont été violentés par les forces de défense et de sécurité. Tandis que d’autres qui ont osé dénoncer la répression violente des manifestants ont été convoqués par la HAC, certains ont écopé d’une suspension. Les exemples de violations de la liberté de la presse sont nombreux. En mai 2023, l’association Presse Solidaire avait dénoncé des actes liberticides. Ce sont entre autres : 

  • La convocation du directeur de publication de Mosaiqueguinee.com  par la Direction du Renseignement Militaire pour avoir révélé la disparition d’un camion de tramadol (un antalgique de la famille des opioïdes) au Camp Samory Touré. Une information confirmée par la suite par le chef d’état-major des armées d’alors dans une interview à la RTG (Radio Télévision Guinéenne).
  • L’arrestation de Amadou Diouldé Diallo, rédacteur en chef de la radio City FM,  à Koloma par des éléments de l’armée. Le journaliste a été conduit au Camp Alpha Yaya Diallo où il a été contraint de supprimer les images qu’il avait prises.
  • Les injures proférées par les Forces de Défense et de Sécurité  contre des journalistes lors des manifestations des Forces Vives de Guinée à Bambéto. 

“Ennemi de la presse” 

Pendant cette même période, le ministre porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, avait prevenu la presse. “Que ce soit une radio, une télévision, un journal ou un site internet, tout média qui tient des propos pouvant perturber la paix sociale, attiser la haine entre les communautés, ou inciter les uns contre les autres, sera fermé sans hésitation et devra assumer toutes les responsabilités. Si un média viole les règles, sa fermeture se fera en pleine lumière”, avait-il menacé alors qu’en Guinée, seul le pouvoir judiciaire a les pouvoirs légaux de fermer un média. Ce, conformément à la loi. 

Avant lui, c’est le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des droits de l’Homme qui avait, lui aussi, démontré à plusieurs reprises son hostilité envers les journalistes. Auparavant, il avait vainement tenté d’obtenir de la HAC qu’elle lui transmette les rapports sur les cas de violation de la liberté de la presse. Par la suite, Alphonse Charles Wright a engagé des poursuites pénales contre les journalistes du groupe Hadafo Média, Mohamed Mara et Lamine Guirassy.  “Je n’écoute pas les médias”, a-t-il affirmé,  par la suite, au cours d’une conférence de presse le 17 mai 2023.

En dépit des multiples dénonciations des organisations de défense des droits humains, les violations de la liberté de la presse et d’expression ne se sont pas arrêtées pour autant. Elles ont atteint leur paroxysme, le 26 mai 2023, avec la limitation d’accès à internet, le brouillage des fréquences de FIM FM et Djoma FM, et la confiscation des émetteurs de Sabari FM et Love FM. Il a fallu une journée sans presse et le boycott de l’ensemble des activités du CNRD, du gouvernement, bref tous les organes de la transition pour que ces restrictions soient levées. Les associations avaient accusé Ousmane Gaoual Diallo d’être derrière ces actes contre la liberté de la presse et l’avaient désigné comme “Ennemi de la presse”.

Depuis le mois d’octobre, plusieurs radios privées se plaignent du brouillage de leurs ondes, sans compter que la HAC a fait des injonctions, en décembre 2023, aux fournisseurs d’image Canal+ et Startimes de retirer l’essentiel des télévisions privées sur leurs bouquets.

Le blocage du site d’information Guineematin.com

Alors que les médias cherchaient encore à se remettre des restrictions du mois de mai, voilà que Guineematin.com est de nouveau bloqué à partir du 15 août 2023. Le site est resté pendant 80 jours inaccessible sur le territoire guinéen sans l’aide d’un VPN.

Inquisiteur.net, cofondé par l’actuel directeur de communication et de l’information de la Présidence de la République, Moussa Moise Sylla, et le journaliste Babila Keïta, est à son tour victime de blocage à partir du 1er septembre. Il s’est avéré que le second cas résultait d’un désaccord entre les cofondateurs qui ont fini par trouver une solution au problème.

Par contre, l’Association guinéenne de la presse en ligne (AGUIPEL) avait saisi la HAC d’une plainte contre X pour le cas de Guineematin. L’institution de régulation avait, par la suite, saisi l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT). Cette saisine est restée sans suite favorable. Le principal accusé, Ousmane Gaoual Diallo, s’est défendu en ces termes : “Ce qui est clair, moi, j’ai dit une chose, je ne me cache pas pour fermer un site. Si je ferme un site, je ferai une communication officielle que j’ai pris la responsabilité de fermer un site”.

La Haute Autorité de la Communication sous haute pression

   Lors du lancement des travaux de rénovation et d’extension du siège de la HAC (Haute Autorité de la Communication), le 4 septembre 2023, le Premier ministre, Bernard Goumou, avait accusé certains journalistes d’avoir mis leurs “plumes et micros au service du mensonge, avant d’exhorter l’autorité de régulation à “redoubler d’efforts et de stratégies pour une meilleure régulation des médias guinéens”. C’est dans ce contexte que le 5 septembre 2023, les médias publics et privés ont néanmoins organisé une synergie, entièrement financée par les autorités de la transition, pour célébrer l’an 2 du CNRD. Tandis que l’accès au site Guineematin.com était restreint depuis une vingtaine de jours. Il aura fallu l’assistance technique des Reporters Sans Frontières (RSF) qui a créé un site miroir pour contourner la restriction.

Répression de la marche du Syndicat des Professionnels de la Presse en Guinée 

La manifestation pacifique du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée, organisée le 16 octobre dernier dans le centre-ville de Kaloum contre le blocage dudit site, a été violemment réprimée par les forces de sécurité. Plusieurs journalistes ont été arrêtés et déférés devant le Tribunal de première instance de Kaloum. Ibrahima Foulamory du journal  Le Courrier de Conakry et Mariama Djouldé Diallo de Cavi TV s’en sont sortis avec des blessures. Il aura fallu attendre le 6 novembre, c’est à dire après 80 jours de restriction, avant que le média ne soit à nouveau accessible en Guinée sans VPN.

Il règne donc en Guinée en ce début d’année 2024 une atmosphère délétère sur fond de restriction des libertés individuelles et collectives avec un accès extrêmement limité sur internet. Ce qui joue inévitablement sur les activités des uns et des autres, notamment les journalistes. D’ailleurs, ce mercredi 17 janvier 2024, la Haute Autorité de la Communication (HAC) a suspendu le journaliste Abdoul Latif Diallo pour une période de 6 mois. Et son site d’informations Depecheguinee.com est, quant à lui, suspendu pour 9 mois à compter de publication de cette décision. Ces suspensions font suite aux plaintes du Gouverneur de la BCRG et du ministre de l’Economie et des Finances, pour « diffamation et trouble à l’ordre public » portant sur un article faisant état de « plus d’un milliard de dollars douteux du régime guinéen bloqué à Dubaï ».