Après la victoire du Sénégal, vainqueur de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) face à l’Egypte en 2022, la 34ème édition de la CAN a débuté en Côte d’Ivoire ce samedi 13 janvier et s’achèvera le dimanche 11 février 2024. À l’instar des autres éditions, les citoyens issus des 24 pays en compétitions soutiennent leurs équipes. Ils alimentent particulièrement la toile dans une ambiance bon enfant à travers des publications visées et des commentaires. Seulement, cette culture du clash minimise parfois les discours de haine, y compris les attaques personnelles.
L’ambiance bon enfant de la CAN sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, a débuté un peu avant la cérémonie d’ouverture tenue le samedi 13 janvier 2024, au stade d’Ebimpé. 6 jours avant, c’est-à-dire le 7 janvier 2024, les premières équipes participantes foulent progressivement le sol de la terre d’Eburnie. Cette actualité suffisamment relayée sur les réseaux sociaux met déjà la toile en effervescence. Des pages, des profils et des groupes Facebook trouvent nécessairement de la matière pour faire monter l’ambiance d’un cran.
Ainsi, le jeudi 11 janvier 2024, dans un groupe spécialement créer pour les clashs Cameroun/Côte d’Ivoire, Semy Killy, un internaute lance les hostilités et publie : « Pourquoi les joueurs du « campoussière », (Ndlr, Cameroun) sont arrivés en Côte d’Ivoire, tous habillés en noir ? Ou bien, ils ont perdu pôle billard (Paul Biya) ? ». Une publication qui a généré 89 réactions et 97 commentaires à ce jour.
En réponse, ‘’Phladimir DuCamer’’ réplique : « Tu es né et a trouvé que même vos ancêtres vous ont donné le nom « ivoirien » c’est-à-dire que les gens qui sont nés et ne voient rien, je dis bien, rien du tout ! Et tu viens insulter le ‘’continent’’ Cameroun et son président Paul Biya en déformant son nom. Cherche d’abord à bien voir avant de commencer ce que tu ne peux pas finir bro ! ».
En appui, Hermine Sandoval ajoute : « rectification, c’est Paul Biya le seul et unique président qui a pu faire plus de 40 ans au pouvoir et qui aime la paix ok, rien n’est impossible pour lui ok ».
Sur cette même plateforme, Ange Baisco publie le 12 janvier un message visant à titiller les supporters du Cameroun. « Je dis, le Cameroun ne va pas jouer 3 matchs en Côte d’Ivoire. Si le Cameroun a joué 3 matchs, appelez-moi mouton », a-t-il laissé voir. Très vite, il reçoit en retour des attaques personnelles dont celle de Modeste Beethoven. « C’est ta maman qui ne va pas jouer avec ton père 3fois », a-t-il lancé sous ladite publication qui a généré 112 réactions et 113 commentaires au moment du recensement.
13 janvier 2024. Mefire Samira, publie une photo dans laquelle on aperçoit des femmes en lêkê (chaussures de conception française nées après la Seconde Guerre mondiale dont une partie est fabriquée en Côte d’Ivoire et l’autre importée) avec en légende « comment appelle-t-on ce qu’elles ont sur les pieds ».
Ce post du groupe « Clash Côte d’Ivoire vs Cameroun » qui a suscité 147 réactions et 119 commentaires à ce jour, a été l’origine de quelques frustrations chez certains ivoiriens, et cela, Mohamed Thuq n’a pas manqué de le révéler. « Je suis vraiment choqué de voir tous ces commentaires haineux envers la Côte d’Ivoire. Je croyais que si cette Can réussissait c’était toute l’Afrique qui en bénéficierait, mais maintenant, j’ose croire que si elle réussit, c’est seulement pour les ivoiriens », a-t-il dit. « C’est facile, quand c’est vous, c’est toute l’Afrique qui gagne, rappelez-vous de comment vous avez dénigré la nôtre, on ne pleure pas, c’est interdit », a prévenu ensuite Atango Chimy.
Comme lui, la créatrice de contenus Camerounaise installée en Côte d’Ivoire, Diana Bouli a aussi essuyé quelques frustrations.
Tout est parti d’une vidéo enregistrée au stade lors du match qui opposait le Cameroun et la Guinée. L’influenceuse enthousiaste criait, « On est deux camerounais ici, on a encerclé tout le périmètre. Carton rouge ! Carton rouge ! Vous êtes malades, vous voulez tuer nos joueurs. Allez les gars, fracassez-les, tabassez-les comme vous avez fait au Brésil. On rentre avec la coupe. Merci ».
La publication qui a enregistré au moins 31K de réactions, 4K de commentaires et 1,5 K de partages n’a pas été sans conséquences. Mécontents, plusieurs internautes Guinéens lui ont clairement fait savoir qu’elle n’est plus la bienvenue chez eux. « Je dis Diana bouli, c’est quand tu vas nous trouver ici, tu sauras qu’on est vraiment malade », a menacé Riiamchi Allsy.
Plus tard, Diana Bouli, qui affirme être vilipendée sur les réseaux sociaux par certains Guinéens pour ‘’une cause inexistante et illégitime’’ a tenu à recadrer la situation via un post dans lequel elle précise : « En aucun cas, je le dis et je le répète avoir tenu des propos injurieux à l’encontre de l’équipe Guinéenne incluant ses supporteurs. Si vous remarquez une injure sur un ton humoristique dans notre jargon le Camfranglais, cela était uniquement à l’endroit des joueurs de mon propre pays connaissant leur réel potentiel vis-à-vis de leur jeu d’aujourd’hui. J’aime beaucoup la Guinée. Mais les menaces de certains Guinéens n’ont vraiment pas lieu d’être ! », a-t-elle écrit.
Si le post visait à baisser les tensions, il a aussi ajouté de l’huile sur le feu. En effet, les commentaires sont allés dans tous les sens. Attaques personnelles, menaces, insultes…
Pourquoi les conversations numériques virent aux insultes et aux attaques personnelles
Au départ, ces publications visaient à alimenter les débats autour de la CAN sur les réseaux sociaux, mais très vite, elles sont devenues de plus en plus insupportables pour certains supporters qui ont perdu la culture du débat pour s’aligner sur les modes de propos virulents, injures, attaques personnelles et discours de haine…
Certains faits de la CAN précédente non encore oubliés ressurgissent dans les esprits au travers de certaines publications. C’est principalement le cas de la Côte d’Ivoire et du Cameroun, deux pays marqués par des clashs sportifs depuis des années. D’ailleurs, la plupart des groupes de clash Côte d’Ivoire/Cameroun ont été créés pendant la précédente CAN, en 2022. Lors de cette période, les habitants des deux pays se livraient à une comparaison des niveaux de développement.
Il y a aussi la liberté d’expression qui offre la libre communication des pensées et des opinions. Toutefois, comme l’affirme l’Étudiante Elsa Guérin, dans un document intitulé « La liberté d’expression à l’ère du numérique : le délicat équilibre sur les réseaux sociaux », parut le 24 juillet 2023, « les abus de la liberté d’expression sont renforcés sur les réseaux sociaux ».
En outre, plusieurs internautes font aussi monter les tensions pour faire grimper leurs audiences.
Ces publications peuvent virer au drame
Lors de la précédente CAN qui se tenait au Cameroun, les conflits entre des supporters Camerounais et Ivoiriens qui ont failli dégénérer, avait également débuté et progressé sur les réseaux sociaux. Tout comme l’édition 2024, il était question d’alimenter les débats autour de la CAN. Résultat. Les joueurs ivoiriens ont été hués au stade du Cameroun, les drapeaux des différents pays déchirés et brulés… Certains allaient jusqu’à reporter les conflits pour l’édition 2024.
Par ailleurs, ces situations qui augmentent le flux informationnel sont également source d’infobésité (surcharge informationnelle), donc de désinformation (manipulation de l’information pour tromper l’opinion publique).
Il convient donc de rappeler que les discours de haine désignent des discours qui attaquent une personne ou un groupe de personnes sur la base de caractéristiques divers (couleur de peau, âge, sexe, religion, pays…) et peuvent conduire à des lynchages, des fusillades de masses, les guerres, les crimes, etc. La désinformation peut également être source de lynchages, de crimes…
Eviter de faire dégénérer la situation pour une CAN réussie et sans conflits
L’édition 2024 de la CAN est certes organisée par l’État de Côte d’Ivoire, mais elle enregistre la participation de 23 autres pays. Suscitant autant d’intérêt et d’engouement, il convient donc pour toutes les populations, la société civile, les gouvernements des pays associés, de mettre la main à la pâte pour une CAN réussie et sans conflits.
Pour ce faire, les populations doivent filtrer leurs interventions, afin de réduire au minimum les comparaisons, les injures, les propos de haine, les menaces… Il faut aussi signaler les commentaires et les publications visant à faire ressortir les éléments précités.
La société civile, les activistes, les bloggeurs, les influenceurs, doivent continuellement sensibiliser sur la paix et la cohésion sociale pendant cette période assez sensible, mais aussi relayer des informations sur les discours de haine, la désinformation et leurs conséquences et les dispositions de la loi dans les différents pays.
Les gouvernements à leur tour, doivent aussi accentuer les sensibilisations précitées et faire de la veille pour sanctionner les auteurs de discours de haine…
En Côte d’Ivoire, la loi No 2013-451 portant répression de la cybercriminalité et de la divulgation des fausses nouvelles, en son article 65 punit «de six mois à deux ans d’emprisonnement et de 1.000.000 à 5.000.000 de francs CFA d’amende, le fait pour toute personne de communiquer ou de divulguer par le biais d’un système d’information, une fausse information tendant à faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration de biens ou une atteinte aux personnes a été commise ou va être commise « ; et l’article 62 de la même loi punit «de un mois à cinq ans d’emprisonnement et de 1.000.000 à 20.000.000 de francs CFA d’amende, le fait pour une personne de produire, de mettre à la disposition d’autrui ou de diffuser des données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système d’information. »
Marina Kouakou