Le contexte sociopolitique et les périodes de turbulences en Côte d’Ivoire notamment en 2002 et en 2010, font encore couler beaucoup d’encres, laissant ainsi place à diverses publications, interprétations, interactions et commentaires sur les réseaux sociaux particulièrement Facebook. Cette situation qui a déjà mené à plusieurs cas de désinformation suivie de conséquences indéniables ne s’estompe point. Jusqu’à ce jour, des »influenceurs » dits « oints de Dieu » s’y mettent et créent davantage de la psychose chez les populations qui vivent déjà la peur au ventre.
Le 28 août 2023, ‘’ Ministère la puissance de Dieu en action’’, une page Facebook publie une vidéo ‘’prophétique’’ dans laquelle, un homme prêchant dans une rue, affirme que la tenue de la coupe d’Afrique des nations qu’organise la Côte d’Ivoire, se tiendra probablement dans un pays Arabe. « Ce n’est pas sûr que la coupe d’Afrique des nations se tienne en Côte d’Ivoire. Le seigneur me l’a dit. Ecrivez ce que je suis en train de dire. J’ai demandé au Seigneur, mais pourquoi ? et il m’a dit qu’il y aura des successions de mouvement dans le pays. J’ai vu le corps médical en grève, l’armée se lever, j’ai vu des casses des jeunes gens armés de machettes qui agressaient, qui marchaient, qui brûlaient… », a-t-il dévoilé dans cette publication qui a fait l’objet de 1551 réactions, 777 commentaires, 1379 partages et 118 016 vues à ce jour.
Le prophète Bakajika, via un extrait de vidéo tiré visiblement d’une séance d’évangélisation et publié le 17 octobre 2023, par la page ‘’Ivory Cent Fil’’, sous le thème : « Le prophète Bakajika donne une prophétie sur les évènements qui se dérouleront en 2025 en Côte d’Ivoire », dit également avoir vu une instabilité future en terre d’Eburnie.
« L’après 2025, n’est pas une bonne saison pour la nation ivoirienne. Je vois l’armée divisée en deux parties. En son sein il y a des murmures, car beaucoup de militaires sont arrêtés pour de fausses accusations. La classe politique est divisée. Les personnalités doivent diriger avec prudence, sinon il y a une grosse surprise. Une bombe va exploser parce que c’est ce que l’ennemi prévoit », laisse-t-il entendre.
La page Facebook ‘’Succès’’, qui est suivie par 54 000 abonnés, enregistre un direct Facebook, le 24 septembre 2023, dans lequel elle exhorte les prophètes qui admettent avoir des visions sur la Côte d’Ivoire à la prière. Dans ce direct intitulé : « la prophétie de la guerre en Côte d’Ivoire qu’Allah protège notre pays », l’auteur de la page qui a déjà été en prison en 2021, pour cause de désinformation, prend le soin de détailler les aspects du « don de vision » qu’elle détient avec quelques exemples d’illustration, avant d’ajouter : « Pour la guerre que nous tous qui avons des dons voyons arriver, prions pour l’éviter… ».
Plus loin, elle révèle avoir aperçu l’ex-militaire Ibrahim Coulibaly, tué un peu après la crise de 2010 (le 27 avril 2011) en rêve, un mois plutôt. « Il est rentré en Côte d’Ivoire avec des hommes armés et a réussi un coup d’État. La population était en joie. Elle disait être enfin libérée. Derrière cette foule se tenaient des dirigeants des pays africains », a-t-elle raconté. Pour elle, le visage de cette personnalité décédée voudrait dire que les auteurs du présupposé coup d’État utiliseront « un fils du pays » pour parvenir à leur fin.
Récemment, c’est-à-dire le 12 novembre 2023, l’avatar ‘’Adjovan Agni’’, a également relayé une vidéo du même ordre que celles précitées. Dans cette vidéo, suivie par plus de 1000 personnes, un homme s’adresse à la nation ivoirienne.
A l’instar des autres prophètes dont Mohammed Sanogo suivi par 86000 personnes, et le prophète Elie Padah suivi par 14 000 personnes, il dit avoir eu une vision en ce qui concerne la situation sociopolitique ivoirienne.
Dans cette vision, il aurait vu une vague de coup d’État dans la sous-région et en Afrique centrale. Ensuite, « un autre pays de l’Afrique de l’ouest va s’embraser, mais cet autre pays est la Côte d’Ivoire. Je ne dis pas que la Côte d’Ivoire risque de s’embraser. Je dis que la Côte d’Ivoire connaîtra un coup d’État. Ça va venir du nord. La crise partira de l’attaque présumée qui a été programmée contre le Niger », explique cet homme.
Il poursuit : « Dieu m’a montré que le Mali et le Burkina Faso vont attaquer la Côte d’Ivoire. Je vous dis la vérité. C’est programmé, c’est acté par le seigneur. Dieu est en train d’endurcir le cœur des dirigeants ivoiriens et européens à vouloir attaquer pour agir en Côte d’Ivoire… Faites passer le message aux autorités. Il y aura des combats sanglants. Après trois jours, ils seront aux portes d’Abidjan et, on va nous annoncer la présence de M. Guillaume Soro… », atteste-t-il.
Les populations sont visées par la désinformation
Selon les auteurs de ces publications, ces révélations sont faites pour inviter les populations à demander la clémence de Dieu pour leurs proches pendant la période prédite, ou pour éviter ce « coup d’État » en Côte d’Ivoire.
Mais comme l’a si bien mentionné, le célèbre créateur de contenus ivoirien, Yacouba Gbané dans le webinaire « quelle attitude à tenir face à l’influence des influenceurs en Côte D’Ivoire », le 30 juin 2023, auquel nous avons pris part, « les likes Facebook deviennent comme des stupéfiants à la longue. Quand on s’y habitue et qu’une de nos publications ne génère pas autant de réactions, on en devient malade », avait-il déclaré.
Ce sentiment d’être de plus en plus suivi fait partie des raisons qui incitent la plupart des ‘’influenceurs’’ à la création de ces types de contenus, car il faut le rappeler, avoir une grande visibilité sur les réseaux sociaux crée de nombreux avantages tant au niveau professionnel qu’au niveau financier.
Il peut aussi s’agir d’une manipulation typiquement politique pour inciter à la révolte, ou créer de la psychose. Ce cadre religieux et très sensible depuis des lustres, pourrait être le plan d’action utilisé pour obtenir la croyance des populations. En témoigne ce commentaire Prisca Lidie Yaon Sea, sous l’une des publications citées, « vérité moi, je le sais ».
Conséquences des informations infondées sur le pays et la sous-région
Ces informations aux détails divers, sans preuves visibles et palpables sont dangereuses pour le maintien de la paix et la cohésion sociale au sein du pays, et même dans la sous-région.
Elles accentuent non seulement la psychose chez les populations troublées qui ressassent déjà les dommages des crises précédentes. L’on se souvient encore des prophéties du pasteur Koné Malachie qui avaient fait le buzz, lors de la crise postélectorale de décembre 2010 à avril 2011, bien avant l’ampleur des réseaux sociaux.
Ces nouvelles sont également susceptibles d’engendrer de la haine entre les populations. Le commentaire de l’internaute Kamagaté Gaoussou, sous la vidéo du prophète Bakajika en est la parfaite illustration, « Fais des prévisions pour ton pays, un pays vide d’intellectuels, même nos villages sont mieux que ta capitale », a-t-il-répondu vigoureusement.
Ces contenus et réactions à répétition peuvent exacerber les tensions au regard des antécédents sociopolitiques entre la Côte d’Ivoire et les pays de la sous-région. Au nombre d’entre eux figurent la crise de la fake news à l’origine d’échauffourées dans plusieurs quartiers d’Abidjan en 2021 et la récente mésentente due au projet d’opération militaire au Niger. À cela s’ajoutent les préjugés du climat politique, culturel entre la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina Faso.
Des pistes de solution pour réduire ces ‘’visions’’ qui tendent à embrasser le pays
La désinformation, particulièrement dans le domaine religieux (propos sans preuves) qui prend de plus en plus de l’ampleur sur les réseaux sociaux peut être réduite. Pour ce faire, le gouvernement et la société civile doivent tenir des rencontres de sensibilisation à l’endroit des leaders religieux et des »influenceurs », afin de les exhorter à plus de prudence dans leurs différentes communications prophétiques.
Les organisations religieuses doivent prendre des mesures disciplinaires à l’endroit des leaders récalcitrants.
Les décideurs quant à eux, sont appelés à mettre en place des mesures de veille sur les réseaux sociaux et à appliquer de manière effective la loi No 2013-451 portant répression de la cybercriminalité et de la divulgation des fausses nouvelles.
Ainsi, selon l’article 65 de ladite loi, « Est puni de six mois à deux ans d’emprisonnement et de 1.000.000 à 5.000.000 de francs CFA d’amende, le fait pour toute personne de communiquer ou de divulguer par le biais d’un système d’information, une fausse information tendant à faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration de biens ou une atteinte aux personnes a été commise ou va être commise « ; et l’article 62 de la même loi « Est puni de un mois à cinq ans d’emprisonnement et de 1.000.000 à 20.000.000 de francs CFA d’amende, le fait pour une personne de produire, de mettre à la disposition d’autrui ou de diffuser des données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système d’information. »
Il est aussi crucial d’intégrer l’éducation aux médias, dans le but de développer un esprit critique et de vivre la fois comme un acte de discernement comme le préconise Sylvain Mukulu Mbangi dans son document « les fakes news et le croire chrétien en milieux africains approche d’un phénomène médiatique et sociopolitique.
Marina Kouakou