TACTIQUES UTILISÉES DANS LE NUMÉRIQUE POUR METTRE À MAL LE PROCESSUS DÉMOCRATIQUE

Les périodes électorales en Afrique en général et particulièrement en Côte d’ivoire ont souvent été émaillées de violences. À L’approche des élections régionales et municipales prévues pour le mois de septembre 2023, plusieurs partis politiques animent des meetings dans le but de se positionner et  se lancer dans une opération de séduction à l’endroit de la population.

C’est dans ce cadre que, lors  de la cérémonie officielle de présentation des candidats du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) de la région de l’Iffou  le dimanche 28 Mai 2023 , M. Assahoré Konan Jacques , directeur général du trésor et de la comptabilité publique, par ailleurs  député de Diabo-Languibonou, secrétaire national chargé des points focaux au sein dudit parti et candidat aux élections régionales dans le Gbêkê a affirmé ceci:

‘’Ce que vous constatez là, c’est la façon dont vous avez voté… Celui qui distribue l’école, celui qui fait le goudron, celui qui construit les écoles, il dit voici mes soldats… Vous dites non. Moi-même, j’ai mon propre soldat, c’est à lui que je vais faire confiance. Mais, quand tu as fini de dire ça, toi-même, tu vas chercher tes moyens pour construire tes routes, pour faire tes écoles. ‘’Extrait des pages web de afriksoir.net et de 7info.ci.

A la lecture de cette intervention, cela donne à croire que les ressources mises à la disposition des collectivités viennent de la poche du président de la République et que, le développement de sa région ne peut être possible que si l’on vote le candidat du parti au pouvoir. Or, l’attribution des finances publiques est régi par des lois et c’est un sujet hyper technique. Un message en cette période de pré campagne des élections régionales et municipales qui vise non plus à susciter pendant ces élections l’intérêt des populations à accorder leurs voix au parti au pouvoir en d’autres termes, faire véhiculer auprès des populations une bonne image dudit parti  et de tous ceux qui sont choisis et présentés comme candidats du RHDP à ces élections.

L’Attribution des finances publiques

Comment se fait le financement des collectivités territoriales ?

Selon la loi portant régime financier, fiscal et domanial des collectivités territoriales:

La portion du territoire national dotée de la personnalité juridique, de l’autonomie financière dont les organes sont élus par les populations, c’est ainsi que se définissent les collectivités territoriales.

En Côte d’Ivoire, ces entités administratives sont subdivisées en deux types à savoir la commune et la région. La gestion financière de ces collectivités territoriales est régie par deux lois notamment la Loi N°2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des collectivités territoriales, et la Loi n° 2020-885 du 21 octobre 2020 portant régime financier des collectivités territoriales et des districts autonomes.

Dans leur fonctionnement, plusieurs facteurs interviennent dans le financement des collectivités territoriales en Côte d’Ivoire Il y a d’abord les subventions et dotations de l’Etat qui sont en réalité des ressources que l’Etat puise dans son propre budget pour les collectivités, en vue de leur prise en charge des compétences qui leur sont transférées.

Ce que disent les textes concernant le financement des travaux de développement.

Relativement au transfert des compétences,la loi N° 2003-208 du 7 juillet 2003 a été adoptée portant transfert et répartition de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales. Sur cette base, ce sont seize compétences qui ont ainsi été attribuées à ces collectivités par l’Etat. A côté des subventions de l’Etat, les collectivités territoriales peuvent également compter sur d’autres sources.

Les collectivités peuvent aussi s’appuyer sur la fiscalité locale qui est en réalité des impôts que l’Etat lui-même collecte et partage avec celles-ci. De plus, il y a des ressources propres qui découlent du fonctionnement normal des collectivités. Enfin, nous pouvons citer les ressources externes qui peuvent être l’appui des partenaires techniques qu’on appelle l’aide financière internationale.

Selon l’une des recommandations du rapport annuel sur la gestion financière et comptable des collectivités décentralisées de 2020 : « Les collectivités décentralisées doivent poursuivre les efforts d’accroissement de leurs ressources propres. Cela permettra de réduire leur dépendance des subventions de l’Etat et de mieux assumer leur mission de développement local ». Au 31 décembre 2020, la Côte d’Ivoire comptait 234 collectivités décentralisées comprenant 2 districts autonomes, 31 régions et 201 communes.

Au regard de ces informations sur le processus du financement des collectivités territoriales et du code électoral, nous affirmons que le discours du candidat du RHDP aux régionales de 2023 peut être source de tensions entre les partis politiques, les partisans de l’opposition, la société civile et les gouvernants.

Utilisation de sujets hyper techniques pour manipuler les émotions : conséquences

Ce genre de discours peut créer un sentiment d’exclusion des populations partisanes et proches de l’opposition ainsi que les élus locaux issus de l’opposition à la tête d’instruments de développement local.

Lors de sa conférence du 19 Juin 2023, diffusée sur plusieurs chaînes de télévisions, presse écrite imprimée et médias numériques, le porte-parole et coordonnateur général de la grande cellule de coordination de la communication du PDCI RDA, Bredoumy Soumaïla  est revenu sur les propos de M. Assahoré Jacques, propos qui avaient  déjà été  dénoncés dans plusieurs médias par les activistes de l’opposition et « Le Mouvement des Démocrates »

Dans le média 7info.ci,  des élus de l’Assemblée nationale et du Sénat ont condamné cette sortie qu’ils qualifient de violation du code d’éthique et de déontologie auquel sont soumis tous les grands commis de l’Etat.

Ce média relevait que de leur côté, les populations se sont senties indignées. « Nous nous sentons indignés par les propos de ce cadre RHDP qui est venu nous insulter chez nous» a fait savoir sous anonymat, un cadre de la région de l’Iffou.

Pour rappel, Alassane Ouattara étant dans l’opposition à l’occasion d’une interview accordée à l’hebdomadaire Paris Match déclarait : « On ne veut pas que je sois candidat parce que je suis du Nord et Musulman ». En Côte d’Ivoire nous avons eu  des termes comme « le rattrapage ethnique » employé par l’opposition, qui ont été sources de fracture au sein de la population ivoirienne. Cela se traduit par les crises successives qu’a connues la Côte d’Ivoire.

Des périodes de crises sociopolitiques entre 2002 et 2020

En 2002, deux ans après les échéances de 2000, une rébellion éclate. Elle est sanctionnée par une multitude de négociations à la recherche de la paix.

2010, une autre crise survient, mais cette fois-ci ; post-électorale  à l’issue de l’élection présidentielle. Le bilan est lourd. Ce sont 3000 morts selon la commission nationale d’enquête mise en place à cet effet.

Aussi, en 2020, l’annonce d’un troisième mandat du président sortant Alassane Ouattara a conduit l’opposition à appeler au boycott et à la désobéissance civile. Ce sont 85 morts et 484 blessés qui ont été  enregistrés à l’effet de cette crise engendrée, selon le gouvernement ivoirien. 

Pendant ce temps, les réseaux sociaux ont constitué  une lucarne et un outil de liberté d’expression pour se faire un indice de démocratie avec son lot d’informations à la vitesse de la lumière. Certains médias prennent position dans le traitement de l’information ainsi que certains influenceurs ou avatar tels que Christ Yapi ou la Guêpe (Maimouna Ouattara ndlr).

En conséquence, ces propos diffusés et relayés dans les médias, sur les réseaux sociaux et mis à la disposition du public ont ouvert la porte à des approches de manipulation d’attention, à la collectivisation de sentiments forts ou d’appartenance. Ce qui peut entraîner à la révolte et à des violences de toutes sortes.

Par ailleurs, la manipulation de la constitution par le régime en vue de se maintenir au pouvoir ou pour l’opposition de parvenir au pouvoir est un  sujet hyper technique utilisé pour manipuler les émotions. Chaque parti s’évertue à interpréter les textes juridiques qui définissent les institutions de l’Etat à sa convenance, selon ses intérêts.

Les ivoiriens en ont fait l’expérience à l’élection présidentielle d’octobre 2020, quand le président  Alassane Ouattara annonçait sa candidature le 6 Août à l’orée de la fête de l’indépendance. Ce qui a provoqué une levée de bouclier dans le camp de l’opposition.

Chaque camp s’est alors lancé dans une interprétation de ce que dit la constitution à cette candidature du président – candidat. C’est également  ce que disait le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement d’alors Sidiki Tiemoko Touré  au cours d’un entretien accordé au média d’Etat Fraternité Matin et relayé ici par https://www.afrique-sur7.ci ‘’la constitution adoptée en novembre 2016 vient  simplement remettre tous les compteurs à zéro. Par conséquent, la candidature du président Ouattara à la prochaine élection échéance électorale ne constitue en rien une violation flagrante de la loi fondamentale…’’

L’opposition a de son côté formé un bloc pour contester ce qu’il considérait  comme une violation de la constitution, estimant que le président n’avait plus droit de se présenter selon la constitution après deux mandats.

En effet, le 16 Octobre 2020, l’opposition appelait donc ses partisans au boycott total du processus électoral. Ainsi, Affi N’guessan porte-parole  de l’opposition d’alors  avait  invitait leurs partisans à empêcher le convoyage et la distribution de tout matériel électoral, empêcher les meeting de campagne, empêcher la distribution et le retrait des cartes d’électeurs.

Nous voulons relever que selon le code électoral en son article premier. – La présente loi détermine les conditions d’exercice par le peuple de sa souveraineté en ce qui concerne la désignation de ses représentants à la présidence de la République, à l’assemblée nationale, aux conseils régionaux, aux conseils municipaux, aux conseils ruraux ainsi qu’aux assemblées de toute autre collectivité territoriale. Article. 2. – Le suffrage est universel, libre, égal et secret.

Comment les leaders mobilisent des sujets hyper techniques comme le financement public et l’interprétation des textes juridiques ” la constitution’’  pour manipuler les émotions?

En réponse à cette question, nous dirons tout d’abord, que les politiques jouent sur la non connaissance et le manque de compréhension des textes juridiques, des principes et des droits fondamentaux contenus dans la constitution par certaines couches sociales de la population. 

L’un des ressorts sur lequel s’appuient également  les politiciens, c’est leur influence dans la région vu leur position dans la sphère gouvernementale ou sur le plan financier. 

Dans la plupart  des cas, c’est  le seul fils de la région à être ministre ou à occuper un poste de haute responsabilité dans sa région.

Les filles et les fils de son département  ou de sa région ne jurent que par lui.

Par ailleurs, nous parlerons de l’analphabétisme d’une frange de la population, ce qui est une porte ouverte à la manipulation des émotions.

Conclusion

Cette analyse nous permet de relever différents niveaux de responsabilité. Notamment, celle des hommes politiques à travers leur discours au cours des meetings. Ensuite la responsabilité des journalistes par l’amplification de ces discours dans leurs écrits. L’utilisation des sujets hyper techniques par les politiciens pour manipuler les émotions des individus suscitent des sentiments d’appartenance. 

  • Au titre des actions à mener,  nous préconisons de réunir les acteurs de la société civile afin de leur  expliquer la loi portant régime financier, fiscal et domanial des collectivités territoriales. 
  • Pour les responsables des partis politiques, organiser une rencontre avec leurs représentants aux élections pour leur suggérer une nette modération dans leurs prises de parole en public, surtout en période électorale.
  • Sensibiliser les acteurs des médias au respect du code d’éthique et de déontologie du journaliste.