Conflits  fonciers en Côte d’Ivoire: Principal indicateur de la  paix et la cohésion sociale

Le couvert forestier en Côte d’Ivoire est en nette régression, il est passé d’environ 16 millions d’hectares en 1960 à moins de trois millions d’hectares à nos jours, avec 517000 hectares de forêt primaire. La conversion de la forêt en agriculture est la résultante principale de la déforestation.

Néanmoins, les forêts contribuent toujours de manière importante à l’économie de la Côte d’Ivoire, et fournissent des emplois et des moyens de subsistance aux populations locales. Dès les années 1950, la situation foncière en Côte d’Ivoire est fortement marquée par d’anciennes et intenses migrations agraires, notamment dans la zone forestière (réf. Pratique agricole des migrants Burkinabè en Côte d’Ivoire et investissements socio -économiques liés à la culture du cacao.

De 1990 à nos  jours, la Côte d’Ivoire est confrontée à de nombreux conflits fonciers, ruraux et urbains dans l’ensemble des régions du pays. Ces conflits se sont accentués avec la crise sociopolitique qu’a connue la Côte d’Ivoire en 2010, dans la région de l’ouest, notamment à Duékoué et à Man.

Nous notons que le domaine foncier rural est régi en Côte par la loi No 98-750 du 23 décembre 1998, organisant le titrage systématique des droits coutumiers en droits de propriété privé.

Comme le rapporte le site www.landportal.org à travers un article du quotidien Fraternité Matin, dans le document de synthèse issu des échanges avec les populations des 108 départements sillonnés par les différentes délégations de l’institution, Le Médiateur de la République , on dénombre 28 principaux indicateurs de la paix et de la cohésion sociale identifiés par les populations. Selon ce même document , les conflits fonciers ruraux et urbains viennent en tête sur le plan inter et intracommunautaire.

Toujours selon le même rapport, ces palabres ont pour origine la méconnaissance de la législation foncière, les difficultés pour obtenir, dans les délais raisonnables, les titres de propriété pour faciliter les transactions. De même que l’abus de certaines autorités locales qui enlèvent ou attribuent les terres selon leurs intérêts, au détriment des propriétaires coutumiers ou autres, ainsi que le coût élevé d’obtention du certificat foncier rural, relève le rapport de synthèse de la Médiature.

Par ailleurs, le document  indique que figurent en bonne place, également les conflits de chefferie, car certains chefs n’auraient pas été nommés par l’administration en tenant compte des coutumes locales. Une autre cause tient du fait que des chefs de village exercent sans arrêté préfectoral, donnant ainsi l’impression d’être dans l’illégalité.

Autres indicateurs mentionnés dans le rapport de synthèse : la confiscation des terres des autochtones par les allogènes et allochtones à la suite de la crise post-électorale, l’occupation illégale par les étrangers des forêts classées au vu et au su des administrations concernées, le non-respect par les allochtones ou non nationaux des us et coutumes ou croyances des régions qui les ont accueillies, créant des conflits inter-communautaires, les conflits liés à la délimitation des terroirs des villages, le port d’armes en public par des personnes non autorisées, notamment les dozo (chasseurs traditionnels), le climat politique délétère qui impacte considérablement de manière négative les relations entre les populations, la divulgation de rumeurs et d’informations fausses via internet.

EXEMPLES DE CONFLITS

Dans cette pléthore de conflits que connaît la Côte d’Ivoire, nous citerons entre autres les cas du village d’Abatta en conflit avec le port autonome d’Abidjan sur une propriété dont chacun se dispute l’appartenance. À ce cas, nous ajouterons celui des résidents du quartier Adjin Palmerai situé à Bingerville en conflit avec le Club de football de l’Asec Mimosas. Les résidents de ce quartier ont été déguerpis manu militari.

Un dernier cas que nous citerons est celui du village de Koffikro situé à Bingerville avec une entreprise de la place qui se disputent un espace de 114 hectares

Les réactions sur les réseaux sociaux 

Les internautes sur les réseaux sociaux ont fait de ces conflits leur chou gras à travers des discours de haine et des commentaires xénophobes. Ces discours et commentaires dangereux pour la cohésion sociale ainsi que pour la cohabitation entre les ivoiriens  et les peuples frères de la sous-région se font en total méconnaissance des textes et lois en matière de foncier.

La plupart  des internautes ou des plateformes ignorent  l’origine du conflit et prennent parti pour tel ou tel autre camp. C’est le cas de cette plateforme PULSE qui relate un fait d’expropriation d’une dame de son champ de manioc sur un terrain par le préfet de police de Bingerville. L’administrateur de la plateforme relate ici la version d’un seul camp sans avoir recueilli la version du camp adverse. S’ensuivent des commentaires de menace de mort, de malédictions et paroles violentes.

LA LOI RELATIVE AU DOMAINE FONCIER RURAL

La loi 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural. Elle a été modifiée en son article 26 par la loi 2004-412 du 14 Août 2004, qui reconnaît les droits des propriétés acquis avant le 23 décembre 1998 par des étrangers ou des personnes morales.

La loi 2013-655 du 13 décembre 2013 modifiant l’article 6 de la loi 98-750 du 23 décembre 1998, prolongeant la période  de délivrance des certificats fonciers jusqu’en 2023 et en portant à cinq ans le délai prévu pour la consolidation des droits de concessionnaires.

La loi 2019-868 du 14 octobre 2019 modifiant la loi 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, telle que modifié par les lois 2004-412 du 14 août 2004 et no 2013-655 du 13 décembre 2013

Lors du conseil des ministres du 3 Mai 2023, le gouvernement a adopté un décret portant constatation du défaut de maître sur les différents types de terres. Ce décret a suscité une vive polémique au sein de la classe politique. Pour le PDCI ‘’ l’application de ce décret est une voie détournée pour exproprier les populations de leur patrimoine et les transférer aux nantis et aux multinationales’’

Les autorités ivoiriennes affirment vouloir éviter les abus et mieux protéger les particuliers.Tout cela dénote de la sensibilité du sujet et des conséquences  néfastes que peuvent entraîner la mauvaise gestion de la question du foncier. Nous citerons comme conséquences, la déchirure du tissu social, la difficile cohabitation entre les communautés et même des pertes en vies humaines.

CONCLUSION

La question du foncier rural est une bombe à retardement, a-t-on coutume de dire en Côte d’Ivoire, à cause de son caractère sensible. À différents niveaux, nous relevons la responsabilité de l’État, celle des chefs coutumiers et des individus. L’accès à l’information s’avère capital pour garantir l’opération de propriété et de sécurisation des terres. Ainsi, pour éviter de graves et sanglantes crises intercommunautaires, il faudra que l’agence foncière rurale (AFOR) mette à disposition du grand public à travers les médias et les réseaux les informations concernant le domaine foncier. Il apparaît primordial de dissiper les zones d’ombres autour de la problématique du droit d’occupation et d’usage des espaces fonciers ruraux. Conformément à ses missions et attributions, l’AFOR devra initier des campagnes d’information, de formation, de sensibilisation pour éviter, prévenir les litiges et conflits fonciers dans le respect de la politique foncière rurale sans être partie prenante dans leur règlement. À notre niveau, nous pourrons sensibiliser à travers un ou des articles les populations à se référer aux services administratifs dédiés au domaine du foncier rural pour toutes acquisitions de terre.