Destruction de plantations en Basse-Guinée : la voix de certaines victimes confisquée par les autorités risque d’attiser des colères.

Une plantation incendiée à Kindia Madina Woula en mars 2022

Ces dernières années, plusieurs entrepreneurs agricoles ont été victimes de destruction de leurs plantations par le fait des ‘‘incendies criminels’’ et de destruction dans la région de la Basse-Guinée, plus précisément dans les préfectures de Dubreka, Coyah, Forecariah et Kindia. Alors que le phénomène peine à être endigué, le gouvernement semble minimiser les dégâts, malgré qu’il lui revient de protéger les citoyens et leurs biens. Le ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, quant à lui, accuse les victimes de faire de “bad buzz’’  et ‘‘arnaque’’ dans le but de salir l’image de la Guinée et décourager ainsi les investisseurs et/ou dans l’optique d’obtenir un soutien financier de la part de l’Etat, ce qui risque de produire des conflits. Qu’en est-il dans la réalité? 

Potentialités agricoles

Avec près de 14 millions d’hectares de terres arables dont 20% ne sont pas exploitées, l’agriculture guinéenne dispose d’importants atouts qui offrent de nombreuses possibilités d’accélération de la croissance et de  création d’emplois durables, d’une part et l’atteinte de la souveraineté alimentaire, d’autre part. La production notamment d’ananas et de bananes attirent de plus en plus d’investisseurs locaux. Outre le manque de financement, les entrepreneurs agricoles sont de plus en plus victimes de ‘‘destruction inexpliquée’’ de leurs plantations.

La récurrence des destructions de plantations 

En 2018, Aissatou Bagnan Diallo dans son projet portant sur la production et la transformation des plantes médicinales et aromatiques, a été lauréate du concours de la fondation Tony Elumelu.

En 2019, elle trouve un domaine au bord d’une rivière dans la localité de Friguiagbé relevant de la commune urbaine de Kindia.  

Dans l’impossibilité de mobiliser le financement nécessaire à son projet, elle décide de cultiver des patates douces en attendant. “C’était très prometteur et c’était arrivé à la floraison”, se souvient la jeune femme. Mais, ses ennuis n’ont pas tardé à faire surface. “J’étais venue à Conakry. Cela a coïncidé à l’éboulement sur la route entre Coyah et Kindia, en 2019. Sans possibilité de retourner à la plantation, j’étais restée pendant trois semaines à Conakry à cause de l’interruption du trafic routier entre les 2 villes . A mon retour à Kindia, j’avais trouvé qu’un troupeau de vaches appartenant aux voisins a ravagé la totalité de l’exploitation. C’est à cette occasion que j’ai appris que l’élevage était la principale activité du village qui abrite la plantation”, explique-t-elle.

Au lieu d’engager un bras de fer judiciaire avec le voisinage immédiat, ne sachant pas les conséquences qui allaient en découler, Aissatou choisit de faire la paix avec les propriétaires du troupeau.

En 2020, elle divise son champ, presque, en deux pour y cultiver du gingembre et de l’ananas  avec moins de risque de destruction par les bœufs, cette fois-ci.

Alors qu’elle n’a même pas fini de se remettre de la première perte, un autre problème surgit tout d’un coup. A partir de décembre 2020, des personnes sont venues réclamer la propriété  du domaine agricole qu’elle a pourtant acquis dans les formalités requises en la matière. Avec une volonté de régler à l’amiable, elle propose à son vendeur de lui rembourser le montant de l’achat et l’investissement qu’elle y a effectué pour qu’elle quitte définitivement les lieux. En retour, son vendeur lui répond par des propos menaçants.

Dans la même période, le champ est encore détruit. Elle se trouve dans l’obligation d’engager une procédure judiciaire. La justice a tranché en sa faveur et condamné les auteurs à replanter l’ananas sur la partie du champ qu’ils ont détruite.

Les ennuis n’ont pas fini pour autant. En 2021, de nouveau, un feu de brousse détruit une partie non négligeable de la plantation. En début d’année 2023, la jeune dame constate, pour la 4e fois, la destruction de son champ d’ananas.

Elle ne sait plus à quel niveau se plaindre, car les autorités en charge de l’agriculture ont plutôt tendance à banaliser les faits, si ce n’est de l’intimidation à peine voilée. Le fait d’être une jeune femme célibataire n’arrange certainement pas les choses.

Aissatou n’est pas la seule victime, il y a, au moins, une trentaine d’autres qui, à un moment donné, se sont constitués en association. Son président, Maladho Diallo n’a pas souhaité répondre à nos questions. “Je fais profil bas. Je ne parlerai qu’en 2024 quand j’aurai fait la récolte. Vous savez que j’ai été victime d’un incendie de ma plantation à Bawa. Je cherche à me remettre”, confie-t-il cependant.

Il y a quelques années, lui aussi, avait été victime d’un incendie de sa plantation de 34 hectares située dans la préfecture de  Dubreka.

La destruction des champs sont légions en Basse-Guinée, notamment dans la région de Kindia. Dans la nuit du mercredi à jeudi 20 mai 2021, 1 000 pieds de bananiers ont été tailladés dans la plantation appartenant à Ramadane Diangolo Diallo.

A l’époque, l’ancien président Alpha Condé s’était saisi de l’affaire. Cela est resté un effet d’annonces, puisque, sur le terrain, les destructions n’ont pas cessé pour autant.

Récupération des « terres volées »

Curieusement, l’association Labésangui, à sa tête un certain Cheik Mohamed Fofana alias ‘‘Cheick Affan’’ prétend récupérer des “terres volées aux autochtones de la Basse-Guinée” allusion faite à la communauté sossoka. Toutefois, faut-il le souligner, les victimes sont de toutes les régions du pays.

Captures d’écran des publications Facebook de Sheik Afan

Avec l’arrivée du Comité National de Rassemblement pour le Développement (CNRD) au pouvoir, le 5 septembre 2021, le phénomène avait momentanément cessé. L’accalmie fut malheureusement de courte durée. En mars 2022, la ferme de 150 hectares appartenant à Gustave McCarthy située dans la sous préfecture de Benty dans la préfecture de Forécariah est la cible d’un incendie ‘’criminel’’. Le bananeraie et les anacardiers ont complètement été calcinés.En février 2020, il avait également assisté, impuissant, à l’incendie de la même  ferme.

En février 2020, il avait également assisté, impuissant, à l’incendie de la même  ferme.

Le phénomène persiste sous le CNRD

En 2022, face à la récurrence des cas de destruction et d’incendies criminels d’exploitations agricoles, le gouvernement de la transition à travers le département de l’Agriculture et de l’Elevage avait, à travers un communiqué, rassuré que ces actes ne resteraient pas “impunis”. Une commission mixte composée  de tous les acteurs concernés, notamment la gendarmerie et la police, avait d’ailleurs été mise en place afin de trouver des solutions à cette problématique.  

Communiqué du Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage en début 2022

Une année après, les autorités de la transition semblent avoir changé de fusil d’épaule en accusant les victimes ‘‘d’arnaque et de décourager les potentiels investisseurs dans le domaine de l’agriculture’’. 

A en croire une récente déclaration du ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, « la dernière fois qu’on a pu recenser un acte criminel sur un champ d’ananas en Guinée, c’était, je crois, en 2019, parce que là, ils sont venus, ils ont découpé. Le jeune qui a été victime de ça a été contraint à l’exil parce qu’il ne pouvait pas rembourser. Il avait une dette de 45 millions de francs guinéens. Quand j’ai été nommé ministre, on l’a fait revenir au pays parce que c’était réel et on l’a appuyé. Aujourd’hui, il fait deux fois ce qu’il faisait avant.

Depuis l’avènement du CNRD, précise le ministre Mamoudou Nagnalen Barry, seuls deux cas criminels ont été enregistrés par le ministère de l’Agriculture et de l’Elevage” (sic).

Comment peut-il nier en 2023 les mêmes faits que son département avait reconnus en 2022?  Alors que le gouvernement Alpha Condé au pouvoir d’alors  avait, lui-même, en 2021, reconnu la récurrence du phénomène.

“Certes, notre pays a connu des incendies criminels de plantation, dans le passé. (…) Je peux confirmer que la majorité, sinon, la totalité des incendies dits « criminels » publiés sur les réseaux sociaux en Basse-Guinée, sont fakes, irréels, imaginaires et apatrides, car salissant inutilement l’image de notre pays à travers le monde, et décourageant certains investisseurs. Un des cas qui a fait le tour d’Afrique concernait un jeune qui aurait été victime il y a 4 ans, dont on a recyclé les images, pendant que, grâce à un appui de l’Etat, ce jeune a repris ses activités il y a un an, en toute sécurité. Le cas le plus connu, celui d’une dame qui aurait été deux fois victimes à Kindia, s’est avéré être une arnaque la deuxième fois, quand j’ai déployé les équipes pour identifier les voies et moyens pour l’aider”, soutient-il faisant allusion à la dame Gnalen  qui, en réalité, selon nos informations, a été évidemment victime d’incendie de sa plantation.

Dame Gnalen dont il est question déclare avoir été intimidée et menacée par les représentants du ministère pour avoir publié les images de sa plantation calcinée sur Facebook. Elle nous déclare avoir fait l’objet de tentative de chantage et de corruption.

La version du ministre de l’Agriculture et de l’Elevage

En ce qui concerne les champs d’ananas, le ministre soutient que la brûlure après la récolte fait partie du cycle de la culture. Ainsi, ils soupçonnent certains agriculteurs d’utiliser de telles images pour faire croire à un incendie criminel. « L’ananas par nature, à chaque cycle, les gens brûlent les champs. Ça fait partie du cycle de production de l’ananas. Après la production, quand on veut les rejets, on doit brûler. Quand on finit de récolter, on doit brûler. Ça fait partie des activités (…) Ce qui se passe, chaque fois que c’est brûlé, les gens prennent des photos et les mettent sur les réseaux sociaux pour dire que leurs champs ont été brûlés par des criminels. Je dis bien, le producteur, lui-même, a besoin de brûler son champ d’ananas après la récolte. C’est ce qui permet aux rejets de repousser. Ce qui se passe souvent pour l’ananas particulièrement, je prends l’argent de X, je fais son ananas, il est assis à Conakry ici, après je récolte et je brûle. Après, je lui envoie les photos pour dire que ça été brûlé. Parce que la brûlure de champ d’ananas intervient après la récolte. Dans certains cas, on trompe celui qui a donné l’argent ; et ça, c’est fréquent. C’est très fréquent pour l’ananas », disait le ministre Barry dans l’émission “Les Grandes Gueules’’ sur Espace FM et Espace TV.

La culture d’ananas obéit-elle à la brûlure? Pour en savoir davantage, nous avons interrogé Dr Frebory Traoré, ingénieur agronome dont l’avis contraste avec les arguments du ministre de l’Agriculture. “Avec l’ananas, vous pouvez faire parfois deux récoltes. Lorsque votre champ n’est pas uniforme, vous faites une première récolte et vous attendez les autres qui n’ont pas atteint la maturité. Après cela, il y a la récolte des rejets. Quand vous aurez fini de récolter, vous ne pouvez pas dégager le champ parce qu’il y a d’autres sources de revenu avec les rejets. Après la vente des fruits, vous pouvez procéder à la vente des rejets. Vous pouvez continuer à en récolter autant que vous voulez, à moins que vous décidiez de mettre autre chose. Dans ce cas, vous dégagez et vous y mettez ce que vous voulez. Après la récolte des fruits, les rejets peuvent apporter entre 20 à 30% de bénéfices”, explique l’expert.

Conclusion

Tenter de nier le phénomène, de le minimiser ou de le justifier ne fera qu’exacerber les tensions et décourager les investisseurs. L’Etat doit donc prendre le problème à bras le corps et apporter le soutien approprié aux victimes tant d’incendies criminels qu’accidentels. La justice doit pouvoir enquêter et punir les présumés coupables pour éviter les cas de récidive. Déjà que les victimes font face à l’absence de financement, elles n’ont besoin que de garanties de la part de l’État de protéger leurs investissements.

Nous invitons les journalistes, à leur tour, à jouer pleinement leur rôle en ne laissant pas passer des affirmations comme celles faites par le ministre de l’Agriculture et de l’Elevage qui a affirmé que la culture d’ananas nécessite une brûlure après chaque récolte. Les fausses informations peuvent provenir des citoyens simples, mais aussi des dirigeants qui, pour des intérêts inavoués, peuvent être tentés de camoufler la réalité. Aux journalistes de pousser leur curiosité afin de démêler le vrai du faux.