Côte d’Ivoire /Tensions liées à la transhumance :  fragilité de la cohésion sociale en milieu rural

La transhumance, pratique ancestrale et vitale pour de nombreuses communautés en Côte d’Ivoire, est aujourd’hui le foyer de tensions croissantes, menaçant la cohésion sociale dans des zones rurales du pays. Cette tradition, bien qu’essentielle pour l’économie pastorale, a vu ses enjeux se complexifier, donnant lieu à des conflits intercommunautaires et à une fragilité grandissante de la cohésion entre les différentes populations rurales.

Cette situation alarmante requiert une analyse approfondie des dynamiques sociales et des risques inhérents à la transhumance, tout en appelant à des solutions pour préserver l’harmonie au sein de ces communautés.

Un exemple d’un contexte parmi tant d’autres

Alors que la saison de la transhumance démarre dans toute l’Afrique de l’ouest, cette tradition séculaire, qui permet au bétail de survivre à la sécheresse en allant là où se trouvent les points d’eau et la nourriture, est aujourd’hui menacée. La baisse de la fertilité des terres, la pression démographique et le développement des cultures commerciales ont réduit les zones de pâturage, et bloqué de nombreux couloirs de passage. Résultat : les conflits entre agriculteurs et éleveurs s’intensifient.

Dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, près de Sakassou et Béoumi, les conflits récurrents entre agriculteurs et éleveurs. Les anciens rebelles, désormais alliés au pouvoir, sont accusés d’avoir favorisé l’arrivée incontrôlée des éleveurs peuls, provoquant des dégâts importants aux cultures. Cette situation tendue menace de se transformer en crise ouverte.

Autour de Sakassou, les feux de brousse signalent une présence accrue de troupeaux, causant des destructions importantes aux cultures locales. Les villageois expriment leur colère face aux dégâts sur leurs champs d’igname, de gombo, et aux incendies ayant endommagé leurs anacardiers.

Le chef de canton, Kouakou Kouamé, souligne l’injustice subie par le village, ayant été déplacé lors de la construction d’un barrage, abandonnant l’élevage pour l’agriculture. Il dénonce l’invasion des champs par les bovins, résultat de la collaboration entre éleveurs peuls, chasseurs, Dozos, et cadres des Forces nouvelles pendant la crise.

Les autorités de Sakassou tentent d’apaiser les tensions, mais des incidents, comme la séquestration d’un troupeau par des agriculteurs en colère, soulignent la gravité de la situation.

Le député Konan Yoboué, alerté par l’incident, met en garde contre la misère des paysans qui dépendent des ressources de la terre. Il souligne le risque de réactions violentes si ces agriculteurs sont acculés à la pauvreté.

Les conflits entre agriculteurs et éleveurs, exacerbés par l’arrogance des chasseurs Dozos, inquiètent également le maire de Sakassou. À Béoumi, la cohabitation est tout aussi difficile, avec le chef de canton suggérant même une solution de force et le réarmement des forces de l’ordre.

Les accusations fusent de part et d’autre, avec les éleveurs soulignant des accords écrits pour l’installation de leurs parcs à bœufs. La situation locale, déjà explosive, est encore compliquée par un conflit entre pêcheurs Baoulés et Bozos.

Ces conflits compromettent les efforts de développement de l’Association ivoirienne pour le progrès (AIP), notamment dans la transformation du manioc en Attiéke. Les conséquences sur l’alimentation locale sont préoccupantes, avec des menaces sur la pêche et la production alimentaire. Dans cette atmosphère tendue, mêlant tensions sociales, rivalités ethniques et implications politiques, il est urgent que le gouvernement intervienne pour désamorcer la situation avant qu’une crise incontrôlable n’éclate dans la région du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire.

Le rôle des autorités ivoiriennes 

L’atelier de renforcement  des capacités des acteurs frontaliers ivoiriens, organisé par le secrétariat exécutif de la CNFCI à Korhogo les 5 et 6 avril 2022, visait à prévenir et à résoudre les conflits liés à la transhumance transfrontalière. Financé par la GIZ/PFUA en collaboration avec la CEDEAO et l’ONG Acting for Life, l’événement a réuni une soixantaine de participants, y compris des autorités administratives, des organisations pastorales, des forces de défense et des représentants des régions du Poro, de la Bagoué et du Folon. Les sessions de formation ont abordé divers aspects tels que le pastoralisme, le commerce et la mobilité du bétail, ainsi que le cadre légal de la transhumance. Les recommandations finales incluent la réhabilitation des infrastructures agropastorales, la sensibilisation continue, la création de cadres d’échange, et l’implication de la CNFCI dans les projets pastoraux frontaliers. La cérémonie de clôture a souligné l’engagement à faire de la transhumance un vecteur de paix et de sécurité dans les espaces frontaliers et transfrontaliers.

Les enjeux économiques et sociaux d’une coexistence complexe

La transhumance peut entraîner une pression sur les ressources naturelles telles que les pâturages et l’eau, souvent au détriment des communautés agricoles sédentaires. Les conflits surgissent souvent autour de l’accès et de l’utilisation des terres, exacerbant les tensions entre les éleveurs nomades et les agriculteurs.

Pour les éleveurs, la transhumance est essentielle pour assurer le bien-être et la survie du bétail. Les mouvements saisonniers permettent aux animaux de se nourrir convenablement, contribuant ainsi à l’économie nationale par le biais de la production laitière, de la viande et d’autres produits dérivés. Cependant, les conflits peuvent perturber ces activités, affectant la stabilité économique des éleveurs et des agriculteurs.

La transhumance peut influencer la sécurité alimentaire en raison des conflits fréquents liés à la destruction des cultures par le bétail. Les pertes subies par les agriculteurs peuvent avoir des répercussions sur la disponibilité des denrées alimentaires, surtout dans les zones rurales.

Une cohésion sociale menacée

Les tensions et les affrontements entre les communautés pastorales et agricoles peuvent entraîner des crises sociétales et compromettre la cohésion sociale. Les différends liés à la transhumance peuvent attiser des sentiments d’animosité, de méfiance et conduire à des conflits intercommunautaires.

La loi sur la transhumance en Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, la transhumance est régie par la Loi n° 2013-663 du 20 septembre 2013 portant réglementation de la transhumance et fixant les droits et devoirs des transhumants et des propriétaires. Cette loi vise à encadrer et à organiser le déplacement saisonnier des troupeaux, à protéger les droits des transhumants ainsi que ceux des propriétaires de pâturages, et à prévenir les conflits entre éleveurs et agriculteurs.

Elle établit des dispositions relatives aux conditions et modalités de déplacement du bétail, aux autorisations à obtenir pour effectuer la transhumance, aux responsabilités des transhumants et des propriétaires de troupeaux, ainsi qu’aux mesures à prendre pour prévenir les troubles sociaux et les conflits qui pourraient surgir entre les différentes communautés. Cette loi a pour but de favoriser une transhumance pacifique et harmonieuse, tout en garantissant la protection des ressources naturelles et la préservation des intérêts des populations concernées. Les institutions ivoiriennes jouent un rôle clé dans la gestion de la transhumance en assurant la régulation, la coordination et la protection des populations affectées. Notamment, le préfet en Côte d’Ivoire, en tant que représentant de l’État dans une circonscription administrative appelée préfecture, est chargé de plusieurs responsabilités, y compris le cas des problèmes liés à la transhumance en milieu rural. Il se charge de coordonner les actions des différentes parties prenantes impliquées dans la gestion de la transhumance, telles que les autorités locales, les forces de sécurité, les éleveurs, les agriculteurs, les organisations locales. Il joue un rôle clé dans la résolution des problèmes de transhumance en assurant la sécurité, la coordination et l’application des règles et des réglementations en vigueur dans les milieux ruraux en Côte d’Ivoire.

Les instances telles que le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, le Ministère de l’Élevage et des Ressources Animales, les collectivités locales et les organisations de la société civile contribuent à élaborer des politiques, des normes et des actions visant à encadrer et à faciliter la pratique de la transhumance tout en assurant le respect des droits et des intérêts de tous les acteurs impliqués rôle des Institutions dans la Gestion de la Transhumance… 

Les pistes de solution…

Parmi les solutions, on propose des solutions en fonction des réalités et des zones rurales, il faut mettre en place des réglementations claires et équitables concernant la transhumance, en prenant en compte les droits et les responsabilités des éleveurs nomades et des communautés locales. Il faut également veiller à l’application effective des lois et des réglementations pour résoudre les différends et punir les comportements préjudiciables liés à la transhumance. Il serait important de sensibiliser les populations sur les avantages de la coexistence pacifique entre éleveurs nomades et sédentaires, en mettant l’accent sur la compréhension mutuelle, le respect des traditions et la tolérance. Aussi Intégrer des programmes éducatifs sur la transhumance dans les écoles et les communautés pour sensibiliser les jeunes générations à ces questions et promouvoir des attitudes positives.

Pour finir, établir des mécanismes locaux ou communautaires de résolution des conflits pour traiter rapidement et efficacement les tensions et les différends liés à la transhumance, en favorisant la médiation et la conciliation.

En combinant ces approches et en impliquant toutes les parties prenantes dans le processus, il est possible de réduire les conflits liés à la transhumance. 

 Marie Flore Bohoua et Marina Konan