Lutte contre les propos haineux : le bon geste du Collectif contre la haine ethnique en Guinée

Le comité de rédaction du projet d’IMPACT a repéré une action menée par le Collectif contre la haine ethnique en Guinée, qui vise à lutter contre les discours de haine dans le pays. Au-delà du fait de féliciter le collectif pour son action, nous souhaitons apporter une méta analyse afin de démontrer que la lutte contre les discours de haine passe aussi par la judiciarisation de ces discours. Car, la haine n’est pas une ”opinion”, et ne devrait, de ce fait, être normalisée par la société, représentée ici par l’institution judiciaire. 

Contexte 

Lors des manifestations socio-politiques organisées en Guinée, il existe un historique de violences menant parfois jusqu’à la tuerie de manifestants. Ces violences en marge des manifestations ont souvent lieu dans la commune de Ratoma, le long de l’autoroute le Prince en haute banlieue de Conakry, une zone majoritairement habitée par des membres de la communauté peulh. Cette situation, que nous déplorons, dure depuis des années. Regrettablement, la justice est très rarement faite sur ces crimes qui ont souvent lieu dans cette zone, sous-desservie par les services de l’État mais sur-policée par la force publique. 

Dernières manifestations… 

C’est ainsi, lors des dernières manifestations qui ont été appelées par les Forces vives de Guinée (FVG), qu’une dizaine de  jeunes ont trouvé la mort sur l’axe le Prince. 

Le 08 juin 2023, le chanteur Jack Woumpack, dans une vidéo qu’il a publiée sur sa chaîne Youtube et sur sa page Facebook, s’est violemment attaqué à cette communauté. 

[.. Lors des manifestations sur l’axe, ce ne sont pas les corps habillés qui tirent sur les manifestants mais ce sont plutôt les Peulhs qui s’entre-tuent pour non seulement des règlements de compte, mais [aussi] pour s’acquitter de sacrifice humain pour le pouvoir…] 

[… Tous les autres Guinéens sont unanimes qu’un Peulh ne gouvernera pas ce pays…] 

[… les Peulhs ont le pouvoir économique et intellectuel et maintenant ils sont à la recherche du 3eme pouvoir qui n’est rien d’autre que le pouvoir politique. Le jour où ils auront ce 3e pouvoir-la, ils seront comme Dieu et ça sera à eux de décider quand est-ce que les Guinéens vont manger ou boire… ]

[… Le combat que les Peulhs sont en train de faire est un combat contre Dieu, ils sont en confrontation avec Dieu. D’ailleurs, c’est ce qui fait qu’ils ont perdu beaucoup des leurs…]

extrait du discours de JACK WOUMPACK

Jack Woumpack, de son vrai nom Jack Gbignamou HABA, est un chanteur guinéen, connu pour ses dénonciations de l’état de la société, en langue locale soussou notamment. Il fédère certes une base. Cependant, il est aussi critiqué pour son nomadisme politique par opportunité, son mercenariat d’influence qui semble en ce moment défendre les intérêts du CNRD, l’actuelle junte militaire au pouvoir en République de Guinée.  

Amplifications

Ses sorties ont suscité de vives réactions et commentaires sur les médias sociaux, notamment de la part d’autres blogueurs, artistes et même de journalistes qui lui ont rappelé sa volonté de susciter de l’adhésion à son programme politique, et la critique d’une posture politique faisant partie du débat public. 

La riposte du Collectif contre la haine ethnique en Guinée

Parce que les discours de haine ont tendance à transformer des normes sociétales et/ou légales, il est primordial, aussi, de mobiliser des outils de droits. Ce qui permet par ailleurs de renforcer la légitimité du système judiciaire. 

C’est dans cet esprit de quête de justice que le Collectif contre la haine ethnique en Guinée, né à cette occasion, a dénoncé Jack Woumpack chez le procureur général près la Cour d’Appel de Conakry pour des “faits délictuels”. 

Ci-dessous la copie de la lettre de dénonciation 

La reaction de la justice 

Dans les heures qui ont suivi cette dénonciation , le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a fait des injonctions pour des fins de poursuite judiciaires contre l’artiste pour ses propos incendiaires. Jack Woumpack est par la suite interpellé, mis en garde à vue et jugé en comparution immédiate pour des “faits d’injures, propos ethniques, proférés par le biais d’un système informatique”. 

Reconnaissance des faits  et condamnation de Jack Woumpack

Le 20 juin 2023, au Tribunal de première instance de Coyah, le ministère public requiert une condamnation contre l’artiste Jack Woumpack : un an  d’emprisonnement dont huit (8) mois avec sursis et le paiement d’une amende de 80 millions de francs guinéen. L’artiste mis en cause pour ses propos, jugés suffisamment graves par les autorités judiciaires, a reconnu une grande partie des faits qui lui sont reprochés et avait demandé pardon à la barre. 

Au bout du procès, Jack Woumpack est condamné à 12 mois de prison assortis de sursis, avec mis à l’épreuve consistant au retrait de la publication ayant entraîné la poursuite, à la publication d’un message d’excuse par la même voie, à l’interdiction de publier sur les réseaux pendant la même période dès après la publication du message d’excuse et au paiement d’une amende de 10 millions de francs guinéens.

Conclusion

Enfin, il faut féliciter le Collectif contre la haine ethnique en Guinée pour sa démarche et aussi saluer la réaction rapide des autorités  judiciaires  guinéennes, qui ont agit en faveur de la défense des droits d’une communauté visée. Ceci est un bel exemple et peut contribuer à dissuader d’éventuels promoteurs de propos haineux dans le pays.