Guinée – Feuilletonnage du procès du 28 septembre

La salle d'audience du tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la cour d’appel de Conakry, Guinéen lors du procès du 28 septembre, séquence critique pour lutter contre la désinformation en Guinée.
La salle d’audience du tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la cour d’appel de Conakry, Guinée.

Le feuilleton judiciaire des massacres du 28 septembre 2009 couvert par les médias aussi bien traditionnels que nouveaux, occupe l’actualité en Guinée depuis le début du procès. Cependant, la couverture médiatique souvent tendancieuse et les passions que déchaînent certains internautes sur les réseaux sociaux guinéens inquiètent. Souvent, elles attisent la haine et les propos communautaristes et favorisent, par ailleurs, la production et la diffusion massive de la désinformation d’une affaire qui mérite pourtant plus de sérieux.  

Après 24 ans de règne, le général Lansana Conté — deuxième président de la Guinée — est mort au pouvoir le 23 décembre 2008. Un groupe de militaires prend tout de suite les rênes du pays. Quelques mois plus tard, en septembre 2009, des milliers de Guinéens se sont réunis au stade du 28 septembre de Conakry pour exprimer leur opposition à l’éventuelle candidature du chef de la junte militaire d’alors le Capitaine Moussa Dadis Camara à l’élection présidentielle de 2010. Un rassemblement pacifique réprimé dans le sang, faisant au moins 156 morts, 109 filles et femmes violées et plus de 1 000 blessés, selon le rapport de la commission d’enquête des Nations unies.

Ce massacre avait été perpétré par des militaires et des hommes armés, recrutés par le pouvoir du capitaine Camara, président du Conseil national de la démocratie et du développement, CNDD.

Treize (13) ans après les faits, le procès du massacre du 28 septembre 2009 a été ouvert devant le Tribunal criminel de Dixinn. Au total, 11 accusés, dont le capitaine Moussa Dadis Camara et son ancien aide de camp, Aboubacar Sidiki Diakité alias Toumba, ont comparu à date. 

Après le massacre, le climat devient tendu entre les hauts gradés de l’armée qui dirigeaient le pays, chacun refusant de porter le chapeau de responsabilité des crimes ainsi perpétrés. 

Le 3 décembre 2009, Moussa Dadis Camara prend une balle à la tête lors d’une altercation entre lui et son aide de camp, Toumba Diakité. Il est évacué d’urgence au Maroc pour des soins. De là, il est envoyé à Ouagadougou au Burkina Faso où il est resté jusqu’en 2022. Ce n’est qu’à la veille de l’ouverture du procès le 28 septembre qu’il est rentré en Guinée pour dit-il faire face à la justice de son pays. 

L’accord de Ouaga désigne le général Sékouba Konaté, président de la transition par intérim. Celui-ci organise les élections présidentielles en 2010. Un scrutin à l’issue duquel Alpha Condé accède à la magistrature suprême du pays après sa victoire au second tour face à Cellou Dalein Diallo, devenu son principal opposant durant ses 11 années qui vont suivre.

L’instruction préliminaire du dossier menée par un pool de juges d’instruction est clôturée en 2017. 12 personnes dont le président de la transition d’alors ont été renvoyées par devant le Tribunal criminel.

En dépit des multiples réclamations de l’association des victimes, parents et amis du 28 septembre (AVIPA) et les autres organisations de défense des droits humains, le procès ne s’est jamais tenu sous le régime Alpha Condé. Il a fallu l’arrivée du Conseil national du rassemblement et du développement (CNRD), le 5 septembre 2021, la junte militaire qui a renversé Alpha Condé, pour rendre effective l’ouverture du procès du massacre du 28 septembre 2009.  

Les médias nationaux et internationaux sont fortement mobilisés pour suivre le procès. Plusieurs chaînes de télévision guinéennes (publiques et privées) retransmettent en direct ou en différé le déroulement des audiences. 

Les réseaux sociaux apprécient le procès…

Dès l’ouverture du procès, c’est le Colonel Moussa Tiegboro Camara, qui a comparu en premier devant le tribunal. Il a été suivi par le capitaine Marcel Guilavogui, l’un de ses coaccusés. La stratégie de défense adoptée par ces accusés face au tribunal éveille les sensations. Même les humoristes en font de spectacles avec. 

Des vidéos du procès diffusées en live par les médias sur les réseaux sociaux comme Facebook et YouTube sont reprises en boucle par des influenceurs sur les réseaux sociaux. 

Une certaine concurrence s’installe toute suite entre les médias locaux sur la diffusion des audiences. Car derrière cette diffusion il y’a aussi de la publicité et par conséquent des rentrées d’argent pour le média en question.

De l’autre côté, des internautes forment des blocs régionalistes ou s’organisent par appartenances ethniques pour innocenter ou culpabiliser tel ou tel autre prévenu. Les différents camps poussent le bouchon jusqu’à ce que injures et propos haineux s’invitent dans la sphère numérique. 

Des avocats promoteurs de propos ethnocentriques et régionalistes…  

L’ONG Human Rights Watch dans un des ses rapports, publié le 17 décembre 2009, explique que des propos à caractère ethnique avaient été proférées par des militaires présents au stade du 28 septembre le jour du massacre, contre des victimes.    

Cet élan communautaire s’est transporté dans la salle d’audience. Le 25 octobre 2022,  Toumba Diakité affirmait que le critère de recrutement militaire en 2009 au camp de Kaleah, reposait sur l’appartenance ethnique ou régionale. En termes clairs, il fallait appartenir à la communauté ou à la région d’origine du président Dadis, pour intégrer les effectifs. 

De même, Me David Béavogui, avocat de Marcel Guilavogui, un des co-accusés a interrogé Toumba Diakité en s’appuyant sur ses origines.  Une attitude qui a provoqué une valse d’indignations et de répliques sur les réseaux sociaux. 

La stratégie est rapidement stoppée par le président du tribunal M. Ibrahima Sory 2 Tounkara. Ce juge a tapé du point sur la table pour ramener les différentes parties à la raison. 

Plus loin, la cellule de communication du procès des événements du 28 septembre dans un communiqué a déploré du fait que certains avocats et médias utilisaient des propos « tendancieux » allant jusqu’à la diffusion de désinformation en Guinée.

Des actions qui ont contribué à calmer la situation. 

Une presse peu curieuse… 

Depuis son extradition en Guinée le 13 mars 2017, Aboubacar Sidiki Diakité alias Toumba est détenu à la Maison centrale de Conakry. Alors que son avocat le présentait comme étant « malade » et parfois donné pour « mort », il a comparu visiblement « bien portant », à la surprise générale du grand public.

Ses premières apparitions sont ponctuées par la lecture de versets coraniques. Situation qui explose la notoriété de Toumba auprès des internautes acquis à sa cause, souvent, par appartenance religieuse.

En plus de cela, ses témoignages ont poussé de nombreux internautes, anonymes ou non, à briser le silence pour, disent-ils, contribuer à la ‘’manifestation de la vérité’’ dans cette sombre affaire. 

Parmi ces internautes, un a particulièrement focalisé les attentions. Il s’agit d’un certain ’’Charly’’, qui se présente comme un agent secret angolais ayant été employé de la Présidence guinéenne à l’époque du massacre. 

En s’exprimant sur les pages Facebook et chaînes YouTube de certains influenceurs guinéens, “Charly” a confirmé systématiquement les témoignages de Toumba Diakité. Il soutient par ailleurs avoir participé activement aux événements du 28 septembre 2009 sous ordre direct du capitaine Moussa Dadis Camara. 

Sous le coup de la passion et engagé dans la course des clics, l’élément sonore diffusé sur internet a été largement repris par des médias en ligne qui ne se sont pas souciés de la véracité ou non de ses propos.

Un accusé acquitté par des internautes et la presse… ? 

La succession des accusés et des victimes à la barre du tribunal déchaîne de plus en plus les émotions des internautes. Plusieurs d’entre eux prennent position, allant  jusqu’à demander la libération pure et simple de Toumba Diakité, qu’ils jugent ’’innocent’’.  

Pendant que les auditions de Toumba Diakité se poursuivaient à la barre, c’est Tichou, une chanteuse nigérienne qui encense l’accusé. « Je veux un père, comme Toumba, je veux un mari comme Toumba », clame-t-elle dans l’une de ses chansons devenue virale sur la toile. Par la suite, elle s’est déplacée de Niamey à Conakry plus d’une fois et a pu se rendre à la maison centrale où elle a rencontré Toumba, son ’’idole’’. Ses sorties et son déplacement ont toujours bénéficié d’une large couverture médiatique. 

Alors que le procès est loin de connaître son épilogue et pendant que certains de ses coaccusés sont victimes de moqueries, Toumba, quant à lui, bénéficie d’une forme de traitement de faveur sur les réseaux sociaux et dans les médias, allant jusqu’à être « récompensé ».  Cette fois-ci, c’est le site d’informations Guineenews.org qui le désigne « personnalité de l’année 2022 » suite à un vote de ses lecteurs.

Conclusion 

A travers ce travail effectué, nous constatons que la responsabilité de vouloir faire virer le procès du massacre du 28 septembre 2009 vers le communautarisme, la haine et les émotions se situe à trois niveaux distincts. 

  • La première incombe aux avocats qui surfent sur du sensationnel, en tenant des propos qui visent une communauté, alors qu’ils auraient dû fonder leur travail et argumentaires sur du concret assorti de preuves irréfutables, qui va leur permettre, d’une part, de  défendre leurs clients selon les règles de l’art en vu de l’innocenter, et de l’autre, imposer le respect et se créer une carrière plus prometteuse.
  • La deuxième est imputable à certains organes de presse moyens rigoureux dans le recoupement des informations qu’ils diffusent, malgré leur légitimité et leur possibilité à entrer en contact avec les sources protagonistes. En tenant compte de leur responsabilité sociale, ils doivent agir en journalistes professionnels. 
  • Le troisième et dernier niveau concerne les internautes qui, au-delà de leurs passions et émotions, doivent savoir que ce procès criminel est loin d’être du théâtre. C’est au contraire, un combat qui doit aboutir à une justice pour des personnes tuées et violées, mais aussi, un combat de haute portée pour la réconciliation des Guinéens. 

Pour une meilleure suite du procès, l’ensemble des acteurs doivent agir avec raison pour éviter de rendre ce feuilleton encore plus tendancieux. Nous recommandons enfin aux médias et live steamers de privilégier la qualité de leurs émissions en se formant par exemple sur le droit plutôt que de capter uniquement l’attention avec le clash par l’excès et l’outrance.

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